samedi 13 décembre 2025

Retour au Bois de Preuss, saison automne - hiver ^^

Retour au bois de Preuss (Vaalserberg) à la recherche des bornes frontières. Il y en a de plusieurs types, qui reflètent l'histoire mouvementée de la région. On garde en tête que "Preuss" signifie frontière.



Borne bourguignonne de 1615, délimitant la forêt communale de la forêt royale



Borne frontière du territoire de Moresnet-Neutre (1816-1919)



Si la forêt est magnifique en hiver, elle l'est aussi en automne (même s'il faut faire gaffe aux chasseurs et se renseigner sur le site ChasseOnWeb avant de partir en randonnée). Voici quelques photos supplémentaires, postérieures aux premières, avec notamment une borne "à aigle" qui délimitait l'ancienne frontière du Reich d'Aix la Chapelle au 14ème siècle.



La borne à aigle du XIVeme siècle




On termine la visite par le calvaire de Moresnet.

Le calvaire de Moresnet, construit en 1904, en bordure du bois de Preuss

samedi 6 décembre 2025

Aux Ateliers de Tubize, du 1er octobre 1895 - 15 juin 1899 (épisode 5/8) ^^

La suite des aventures du jeune Omer ^^

L'année 1897 a été une année record en évènements. D'abord, en janvier mon salaire est porté de 0,10  à 0,13 francs l'heure ce qui faisait une augmentation de 8 francs minimum par mois. C'était pour moi un sérieux encouragement. Puis le 5 février, c'était le jour du tirage au sort, auquel je devais participer étant de la classe 1897. Les congés annuels n'existaient pas, on avait simplement les congés des fêtes locales ce qui donnait 6 congés par an: le lundi du grand carnaval, le 1er mai, le lundi et le mardi de la kermesse de Tubize (3 semaines après la Pentecôte), le lundi de la kermesse du hameau du Renard (1er dimanche de septembre ) et le 1er décembre (Saint Eloi ). On avait aussi congé le 1er janvier et aussi le 2, je pense mais nous étions toujours mobilisés pour faire l'inventaire de l'outillage en usage à l'atelier.

A l'occasion du tirage au sort on pouvait obtenir 2 jours de congé, c'était la tradition pour les employés ou soi-disant. On comptait un jour pour la journée du tirage au sort qui était une véritable fête locale et un jour pour le lendemain, pour se remettre des plaisirs de la veille et aussi pour rendre visite à la famille, ce qui était une autre tradition locale. Les ouvriers s'absentaient ad libitum Ils n'étaient pas payés, certains prenaient largement une semaine. Comme je l'ai déjà dit précédemment, le dernier trimestre 1896 avait été très animé par la construction du nouvel atelier et l'achèvement touchait à sa fin en mars 1897. Le bureau passait les commandes des nombreuses machines-outils nouvelles. D'autre part, on construisait la 1000e locomotive depuis la création de l'usine. On avait donné ce numéro à un type 25 Etat Belge de 100 tonnes d’une valeur de 100.000 francs à cette époque. Elle coûterait sans doute en 1947 quatre millions de francs. En raison des festivités qui seraient organisées fin de l'été, on plaçait également l'éclairage électrique - première apparition de l'éclairage électrique à Tubize - mais c'était le système de lampes à arc. Bref, le bureau avait de la besogne plein les bras. Quant aux festivités qui ont eu lieu, je ne me souviens de rien. Sûrement que le menu fretin n'aura pas été invité. Mais j'ai reçu 2 francs comme chaque ouvrier, puisque j'étais inscrit sur la liste des salariés. 

 

L'usine comptait 600 ouvriers environ. Elle était divisée en différents secteurs, chacun de 80 à 100 ouvriers. Chaque quinzaine, les feuilles de salaires étaient dressées par les pointeurs, une souche numérotée, établie pour chaque ouvrier, indiquait le nombre d'heures de travail, le salaire horaire et le montant dû. Le jour de paie, dès la première heure de la matinée, les feuilles de salaires et les souches, ainsi que les boites cylindriques de chaque secteur étaient remises à la comptabilité. Le comptable examinait les souches et totalisait le montant des listes. Il faisait prendre la veille ou dans la matinée la monnaie nécessaire dans une banque de Hal ou de Braine-le- Comte, Tubize n'en possédant pas. Dès une heure de l'après-midi, la mise en boîte commençait. On plaçait la grande table pliante au milieu du en bureau. MM. VANHAM, DUMOULIN & DEMARET s'y installaient. On plaçait au milieu de la table la planche à alvéoles du premier secteur contenant 100 boites numérotées de 1 à 100, placées dans l'ordre par le pointeur. Le comptable avait préparé le montant exact de la paie de cette première série et devait arriver juste à la fin, sauf erreur, sinon un contrôle était indispensable. Le comptable passait la souche avec le montant à M. DUMOULIN, qui vérifiait si la somme d'argent correspondait au montant de la souche, puis, glissait le tout à M. DEMARET. Celui-ci avait la responsabilité de la mise en boite, c'est à dire placer la souche et l'argent dans la boite portant le numéro de la souche. En fait, l'opération se faisait automatiquement si les souches et les boites étaient bien classées de 1 à 100. Deux ans après mon entrée, vers octobre 1897, j'ai remplacé M.DEMARET à cette besogne, celui-ci prenant la place de M. DUMOULIN qui faisait cela depuis 30 ans. 

 Pendant quelques paies, tout se passa normalement, c'était l'enfance de l'art. Un jour on mit mon attention à l'épreuve, à un moment donné, le comptable me dit: OMER vérifiez le contenu des trois boîtes que vous venez de remplir. Je m'exécute. Les souches et l’argent étaient dans des boîtes contraires. L'erreur était manifeste. Le comptable avait interverti intentionnellement les 3 boîtes. Jamais, je n'avais encaissé un tel cigare. Aucun égard pour mes 20 ans. Les foudres du ciel allaient tomber sur ma tête. Je pourrais être la cause d'une grève dans l'usine et patata et patati. La scène avait sûrement été préparée. Encore un peu, je me courbais en dessous de la table honteux de ce qui m'était arrivé. Mais l'humiliation forge l'âme. Je me disais tout bas: vous ne m'aurez plus, et au besoin, je prendrai ma revanche! 

Les paies suivantes, j'étais avant l'heure au bureau; on commençait cependant la paie à l’heure. J'avais le temps de vérifier l'ordre chronologique des boîtes de tous les secteurs et j'ouvrais l'œil pour voir si quelque intrus n'allait pas y fourrer son nez. Du côté des boites, rien à surveiller je les plaçais moi-même sur la table de paie au fur et à mesure des besoins. Il restait les souches qui étaient toutes entre les mains du comptable. C'était là que pouvait se faire l'inversion. Une autre tentative ne tarda pas à se produire. Malgré toute la tension d'esprit qu'il fallait pour suivre le contrôle d'environ 600 souches, je faisais l'effort nécessaire pour ne pas être distrait. C'était bien sûr dans le milieu de la paie que le guet-apens avait lieu. Le voilà! Je m'écriai halte! Cela ne va pas, les souches ne sont plus dans l'ordre. A partir de ce moment je pris la place de M. DEMARET, besogne plus délicate et contrôle plus intelligent. car la mise en boîte - quand celles-ci étaient bien classées, ainsi que les souches - n'était qu'une besogne mécanique. Le comptable les mêmes épreuves dans mes nouvelles fonctions, mais je les esquivai toutes.

Quand j'ai remplacé M.DEMARET, M. VANHAM dit: OMER, s'il y a erreur me de fonds à la fin de la paie, vous serez pénalisé de 5 francs ». Comme il y avait deux paiements par mois, cela m'aurait fait 10 francs par mois, en cas d'erreur à chaque paie. Il ne serait plus resté grand-chose de mon mois. Je dis alors: à une condition. Quand il n'y aura pas d'erreur je toucherai 5 francs à chaque paie. Le comptable accepta, il faisait une bonne affaire. En effet la mise en boîte terminée, on ne faisait jamais la vérification des boites, erreur ou pas. On n'en avait d'ailleurs pas le temps, car à 5 heures la paie commençait dans les ateliers. Le comptable touchait une indemnité de caisse, il avait donc intérêt à  avoir son compte exact à chaque fois. En me donnant 10 francs chaque mois, c'était pour ainsi dire une garantie à- 100 %.  Je ne sais plus s'il n'y a jamais eu d'erreur, mais je sais bien que j'ai toujours touché les 10 francs. En janvier 1898 et 1989, j'obtiens, chaque fois, 0,05 francs de plus à l'heure, ce qui me faisait pour finir 0,23 francs soit (63 + 10) = 73 francs par mois représentant le salaire que j'ai eu jusqu'à mon départ. Avec ces 73 francs, ma mère était riche pour la 1ère fois. C'était d'ailleurs le traitement de début d'un instituteur intérimaire.

samedi 29 novembre 2025

L'Hôtel communal de Schaerbeek ^^

Quelques vues, intérieures et extérieures, de l'hôtel communal de Schaerbeek. Inauguré en 1887, il est détruit dans un incendie en 191, puis reconstruit à l'identique entre 1912 et 1915.


  

 

 

 

 

 

 

 

la salle des guichets

 

 

 

 

la salle du conseil


la salle des mariages


la vue depuis la terrasse





samedi 22 novembre 2025

Aux Ateliers de Tubize, du 1er octobre 1895 - 15 juin 1899 (épisode 4/8) ^^

La suite des aventures du jeune Omer ^^

La Saint Eloi est la fête des métallurgistes - on dit métallo en 1947 - fête locale sans déploiement de baraques foraines Nous sommes d'ailleurs au cœur du vrai hiver, le 1er décembre. Mais tout ce que comporte le travail du fer chôme ce jour-là, mais sans salaire payé. 50 ans plus tard, les jours fériés sont pour la plupart des journées à salaire payé. En 1947, le 1er mai est devenu jour férié à salaire payé. La Saint Eloi attend son tour. La véritable réjouissance de la Saint-Eloi se passait la veille dans les ateliers A la rentrée de l'après-midi, le café habituel avait fait place au genièvre ordinaire, au vrai Hasselt, au vieux système au faro, ou au lambic au tonneau, chacun apportait sa quote-part au moulin. D'abord, c'était les amis qui échangeaient le verre d'amitié, puis doucement les têtes s'échauffaient, entrainant tout le monde dans le tourbillon. On entendait par-ci, par-là de petits pétards. Des groupes se formaient dans l'usine, le remue-ménage commençait. Bientôt, les gros pétards étaient placés à la forge, c'était le signal de la révolte pacifique. Tout travail cessait. Les ouvriers prenaient le large, on quittait l'usine. Les contremaitres et le chef d'atelier s'y mettaient activement ou passivement. Le personnel n'était pas inquiété. L'usine était généralement déserte vers 5 heures et je pense que la journée était payée complètement. Puis des groupes déambulaient dans les différents cafés de la commune jusque bien tard dans la soirée.

Le 30.11.1895, première Saint Eloi depuis mon entrée, le petit régal du mercredi s'était sensiblement amélioré. Aucune crainte de la Direction cette fois. Dès le matin notre chef s'était préoccupé de nous procurer un extra. Il s'adressait habituellement à un de ses bons amis. Cette fois, c'était au vieux brave Honoré SOUMILLON, il avait préparé pour la circonstance une bouteille de vieux Hasselt de plusieurs lustres de cave. Le bouchon vétuste, moisi extérieurement, indiquait bien son âge, La boisson était jaune semblable à du vin. De plus quand on versait dans les verres, elle était onctueuse et répandait un arome particulier Le quatuor était impatient de la goûter. Comme l'autre, ils auraient pu dire "le petit Jésus va pisser dans ma bouche ". Vers 3 heures, on trinquait pour la première fois entre les habitués. Puis, petit à petit, apparaissaient d'abord, le chef d'atelier, question de se soustraire dans l'usine aux nombreuses sollicitations du personnel ensuite, l'agent réceptionnaire GANDIBLEU, le magasinier MEULEPAS, et de temps en temps des fournisseurs locaux. Le Hasselt était alléchant tous s'en donnaient. Moi, j'étais méfiant. J'avais rarement bu du genièvre et surtout pas de cette qualité. Aussi ne tarda-t-il pas à monter la tête. Heureusement, la bouteille n'était pas inépuisable, on servit bientôt la fin. Chose prévue, bien sûr par le quatuor car la cruche remplie de lambic attendait son tour Les vieux avaient certainement un malin plaisir à me ficher la cuite. On a beau être prudent, de 3 à 5 h., il passait de l'eau sous le pont, mais aussi de la boisson dans l'estomac. Le lambic succéda au Hasselt, tout le bureau s'animait et votre serviteur aussi. 

J'allais au bureau banalement habillé, une chemise de couleur avec cordelière, une casquette comme couvre-chef; mes collègues n'y allaient pas autrement Ce jour-là, je ne sais pourquoi, on s'était endimanché sans doute pour la sortie après le bureau. On avait mis son beau costume, un chapeau boule en peau boule en peau de lapin, acheté 3,50 f chez les 3 filles DELCHAMBRE. Quand les gros pétards fonctionnent dans l'atelier, tout doit cesser chez les employés comme chez les ouvriers et le mot d'ordre est toujours suivi c'est la trêve officielle. Au moment de sortir je mets mon chapeau et par un geste énergique je l'enfonce tellement bien que la couronne se détache. J'avais du coup un collier et une espèce de calotte de moine. Vous voyez le tableau. Les vieux riaient, comme s’il n'était passé qu'une bonne larme rafraîchissante dans leur gosier. Et puis, à 50 ans, on peut là contre. Au demeurant j'avais très peu bu, mais jeune (18 ans), malingre et maladif, il ne m'en fallait pas davantage pour être éméché. 

Débarrassé de mon couvre-chef, j'allais dans quelques cafés de la commune avec les jeunes du bureau de dessin, qui n'en étaient pas à leur coup l'essai. Je ne m'attardai cependant pas. A 7 H., je rentrai, seul chez moi. La nuit était noire. Les rues n'étaient pas éclairées à cette époque. Impossible d'entrer la clef dans la serrure de la porte. Je tombais et m'assis sur le seuil de la porte. Ma mère était déjà au lit mais elle ne dormait pas, elle entendit du bruit, apparut à la fenêtre et elle vint me tirer de la triste situation où je me trouvais. Il fallut toute la journée du lendemain pour me remettre. J'avais été baptisé à la Saint Eloi mais un baptême qui porta ses fruits; l'autre avait mal tourné. Par la suite je suis devenu, de plus en plus, prudent. J'allais d'ailleurs peu au café pour le plaisir d'y aller. Ce n'est que plus tard, au en août 1898, lors de la création de la société de gymnastique " La Vaillante ", que j'étais tenu d'y aller les deux jours de répétition. Si la conduite de ma vie de jeune homme a puisé son enseignement dans les conséquences de la rigolade de mes trois vieux collègues, le jour de la Saint Eloi;:je les bénis maintenant de l'occasion qu'ils m'ont donnée de forger mon caractère, celui-ci ayant joué, par la suite, un rôle important au cours de ma longue carrière.

samedi 15 novembre 2025

Le monde en cartes postales anciennes: Tubize ^^

Notre tour du monde en anciennes cartes postales nous fait faire une halte dans la commune de Tubize. Cette série de cartes postales, trouvées en brocante, n'a malheureusement pas voyagé, ce qui ne permet pas de les dater.

Bon dépaysement et bonne vision ^^

PS: n'hésitez pas à cliquer sur les cartes postales pour les agrandir!

 









 

samedi 8 novembre 2025

Aux Ateliers de Tubize, du 1er octobre 1895 - 15 juin 1899 (épisode 3/8) ^^

 La suite des aventures du jeune Omer ^^

Du 1.10.1895 au 31.12.1895, je ne touchai aucun salaire. Comme je l'ai dit, au début, la Direction de Bruxelles n'avait pas donné son pour l'engagement d'un employé. Mon chef jugeant que je rendais déjà des services décida de me donner quelque chose. Il entrait, chaque année, à l'atelier une série de gamins, la plupart fils d'ouvriers de la Société, à partir de 11 ans déjà, pour apprendre un métier. Chacun restait en apprentissage 3, 4, 5 ans ou plus suivant son habileté. Dès que l'apprenti commençait à faire quelque chose ⁃ généralement après un an ⁃ ou bien si le père rouspétait, il était inscrit sur la liste des salariés et touchait 2 ou 3 centimes à l'heure. J'obtins, en janvier 1896, en raison de mon âge, de mes études et de mon travail, 0,10 francs à l'heure. J'étais inscrit comme les ouvriers pour 10h.de travail, alors que je n'en faisais que 83 h. J'étais le plus heureux des gamins. Ramener 1 franc par jour à ma mère, alors qu'elle nous avait élevés tous les 4 en allant à la journée faire 10 h.de travail pour UN franc. Elle était restée veuve avec 4 enfants de 16, 14, 11 et 9 ans ! 

Les 3 employés étaient au bureau, consciencieux, honnêtes et familiers, rarement absents toujours à l'heure, sauf la petite licence de midi ils prenaient tous les trois leur fonction à cœur. Le bureau d'ailleurs était calme. les visites étaient rares. Le Directeur n'apparaissait pas. C'était trop bas pour lui. Parfois le chef d'atelier, frère du comptable, plus souvent l'agent réceptionnaire. Le téléphone n'existait pas, sauf un porte-voix en communication avec le Directeur et un second avec le magasin. La plus grande tranquillité régnait dans le bureau. Les seuls bruits étaient le passage des trains de la ligne Bruxelles-Paris en dessous de nos fenêtres. Les travaux de la grosse chaudronnerie qui duraient parfois plusieurs jours étaient plus agaçants. C'est dans cette ambiance que j'ai grandi au propre et au figuré. De 1,54 m à l'entrée, je mesurais 1,63 à ma sortie Je m'y suis formé entièrement à la vie de bureau: régularité dans les heures d'entrée, rapports courtois avec les collègues, serviabilité poussée à l'excès, travail consciencieux et expéditif, respect et crainte du chef, ce qui faisait dire à DUMOULIN que je pouvais me présenter partout avec assurance et que je ferais mon chemin. A la sortie du bureau à 6 h. le village était calme et la soirée encore plus. Il n'y avait ni théâtre re ni cinéma il n'existait pas encore  ni plaine de jeux, ni société de gymnastique. Le football était encore dans la nuit des temps. Le vélo existait à peine. C'est le pharmacien DRUART qui vint, un des premiers, s'entrainer sur le boulevard de la Senne, ancien chemin de fer Zamann, reliant les Carrières de Quenast au canal de Charleroi, qui se prêtait très bien à cet exercice. L'été, une section de balle-pelote avait de la vogue, l'hiver le cercle dramatique la Renaissance avait du succès. Le cercle musical libéral, la société de musique la mieux douée, rappelait aux Tubiziens son existence, le dimanche de la kermesse, par l'organisation d'un grand concert dans le centre de la commune. Il n'y avait ni banque, ni agent de change, l'argent était rare. Quel contraste avec le présent! Pas de magasin Delhaize, pas de marchands de fruits ou de légumes de quelque importance. Tubize avait conservé son caractère rural, malgré les 6.000 à 7.000 habitants de ce centre industriel. Quatre cafés-billard de belle allure: à la gare, WAROCQUIER – grand place, la Boule d’Or et DALOZE - rue de Mons, LEDUCQ le local libéral. Ni brasseries, ni bodéga. Les demis et la bière en bouteille n'existaient pas, l'apéro non plus. C'était le régime de la chope et du petit verre, la vie au café était monotone. Chaque famille avait son jardin grand ou petit.  Il était entretenu, en été, à la fin de la journée ou le dimanche matin. Aussi, rien d'étonnant que l'on se permit au bureau de petites licences de temps en temps.

Chaque mercredi le Directeur se rendait à la bourse industrielle à Bruxelles. Il quittait Tubize par le train de 10 h.et demi ou de 12h et demi, pour rentrer dans la soirée. En tout cas le lendemain matin, il était toujours au poste. Nous étions tranquilles l'après-midi, mais il fallait être sûr de son départ Quelques semaines après mon arrivée. on me fit faire le guet. Le Directeur habitait la grosse maison au coin du passage à niveau de la Bruyère. Une sortie donnait directement sur la cour de l'usine, une autre sur la route communale. C'est par cette dernière qu'il se rendait à la gare, en empruntant la route des véhicules conduisant à la gare aux marchandises. Il fallait sortir de l'usine, faire une fausse commission à la fonderie SOUMILLON, toute proche. Dès que le train était passé, le Directeur aperçu ou non, je rentrais au bureau. S'il avait pas été aperçu, je devais recommencer le même jeu du côté de la cour, cette fois vers deux heure et demi. Il faisait, chaque jour, sa seconde tournée dans l'usine à ce moment. J'allais, je venais, je tournais autour du magasin; après dix minutes je rentrais au bureau, le Directeur vu ou non. Voilà à quoi on me faisait passer mon temps. Il est vrai que je ne coûtais pas cher Quand on était certain de son départ, l'ouvrier de course de l'usine se rendait vers 4h. chez BAESBERG, le café de la rue de l'industrie, proche de l'usine, réputé pour son lambic au tonneau. Il y avait un second café vendant le lambic, c'était celui de la veuve LEMAIRE, mais il était distant. L'ouvrier était porteur d'une cruche à eau toujours le même et rentrait assez vite avec quelques litres de la précieuse boisson, à 0,30 francs le litre. Ce n'était pas une ruine, puisqu'on était quatre pour payer les frais Je n'étais pas le quatrième, c'était M. TISTOUT, le chef du bureau de dessin. Moi, j'étais le petit domestique, dès le matin déjà, je rinçais les verres, servais et trinquais à l'œil, tout cela d'accord avec mon chef. J'étais toujours le petit et j'étais très heureux de pouvoir participer à pacifique et modeste agrément. J'avais de la joie à constater ce l'extrême plaisir je dirai même le régal de ces quatre pères dont deux chargés de familles nombreuses, DUMOULIN & TISTOUT. Ils buvaient d'un si bon cœur qu'on aurait dit qu'ils en avaient été privés depuis longtemps Tout cela, malgré l'absence du Directeur se faisait dans le plus grand secret. Les 5 verres étaient placés sur une planche de la grande armoire en retrait, se trouvant dans le prolongement du grand classeur, du côté opposé à 1a porte d'entrée A la moindre alerte, je refermais la double porte et in vu, ni connu. Quand l'ouvrier rentrait, M. TISTOUT était appelé discrètement par la baie de service, communiquant avec le bureau de dessin. Il était toujours présent car il attendait cet appel. Il faisait tout pour ne pas rater l'occasion, il en aurait fait une maladie. Quand il entrait dans notre bureau, il avait le sourire du bon vivant qu'il toujours été et pour léchait déjà les babines.

La cruche ne se vidait pas d'un trait. C'était le petit verre, à 3 cens qui était toujours employé. On recommençait toutes les demi-heures. TISTOUT revenait automatiquement. C'était-une belle après-midi. Pour moi d'abord, pas de courrier signé, nulle expédition à faire. Ensuite je n'avais jamais mis les pieds dans un café. Je connaissais cette bière parce qu'elle avait une grande vogue à Hal où j'avais été de nombreuses années à l'école. Aussi, je ne buvais pas goulûment. J'étais même très réservé. Mais quel plaisir j'avais à voir mes quatre bons hommes se pourlécher. On aurait dit des enfants à la kermesse. Aussi ne rataient-ils jamais un mercredi, c'était presque un drame quand le Directeur ne partait pas. Pour rien au monde mon chef n'aurait rompu la consigne.