mercredi 5 août 2015

Le cahier des charges de la concession d'une ligne de tramway à voitures déraillables allant de la station du Luxembourg à la porte de Ninove (1889) ^^

Voici quelques extrait du cahier des charges de la concession d'une ligne de tramway à voitures déraillables (dites voitures à 5 roues) allant de la station du Luxembourg à la porte de Ninove, arrêté par le Collège des Bourgmestre et Echevins de la Ville de Bruxelles en date en séance du 15 novembre 1889.


Avant de vous proposer les extraits en questions, voyons ce qu'est un tramway déraillable. Les tramways dits "déraillables" étaient en fait des omnibus de pavé "enraillables", de part leur 5ème roue munie d'un "bourrelet", que le cocher pouvait relever (pour voyager sur les pavés) ou abaisser (pour voyager sur les rails). En effet, Lorsque la 5ème roue "à bourrelet" était mise en place sur le rail, elle entrainait à sa suite les 4 autres roues, qui se retrouvaient elles aussi sur les rails. Lorsque deux voitures devaient se croiser (à l'époque, la plupart des lignes ne comportaient qu'une voie ferrée unique), le cocher relevait la roue "à bourrelet", puis faisait passer la voiture sur le côté pour livrer passage à la voiture venant en sens inverse et, après ce croisement, revenait sur la voie.

On voit cela en photo: ici tout le véhicule (la 5ème roue est en bas au centre):



Et ici le gros plan sur cette 5ème roue. On voit bien son bourrelet (au centre du pourtour de la roue) et que les autres roues en sont dépourvues).



Vous me direz: "Mais quel était l'intérêt de faire circuler des omnibus sur des rails?" Hé bien, parce que le rail permettait le déplacement de véhicules sur une surface relativement plane. Il faut savoir qu'à l'époque, les rues étaient pavées (autrement dit, inégales: pavé, trou séparant les pavés, re-pavé, re-trou, etc - sans compter que les pavés étaient grossièrement taillés, autrement dit, pas planes non plus). Les usagers des omnibus étaient donc soumis à toute sortes de chocs et de secousses qui n'étaient que peu amortis par les suspensions rudimentaires des véhicules de l'époque (qui étaient d'ailleurs dépourvus de pneus "caoutchoutés", du fait que ceux-ci n'existaient pas encore).

Les voitures déraillables de la Société Générale de Chemins de fer économiques avaient été commandées à la Métallurgique à Nivelles. Ce n'étaient pas les premiers tramways de ce type, vu que ce système de voitures "déraillables" avait déjà été testé par les Tramways Bruxellois en 1885. La société dite des "Vicinaux Belges" (également appelée "Vicinaux Finet", du nom de son fondateur) exploitaient également une ligne de tramways déraillables, de la porte de Ninove à la porte de Schaerbeek (avenue Rogier). Cependant, après quelques mois d’exploitation, les "Vicinaux Belges" suppriment la 5ème roue de leurs voitures déraillables et munissent les roues de devant de chaque voiture d’un bandage spécial à relief, qui s’emboîte dans la gorge des rails et fait office de 5ème roue.

Ce nouveau système a pour désavantage qu'il faut, pour dégager la voiture, un choc très violent et un effort brusque de traction qui fatigue le matériel et les chevaux, et secouent les voyageurs. On peut ainsi lire, dans le "Journal de Bruxelles" paru le 12 novembre 1897: "Monsieur Iwan Gilkin fut victime, l’année passée, d’un accident de tram, à la porte de Schaerbeek. Pendant que la voiture changeait de voie, le choc fut tel que ce monsieur, qui était installé sur la plate-forme d’arrière, fut projeté avec violence sur le carreau. Il en eut la jambe cassée et souffre encore aujourd’hui de ce pénible accident. Il assigna la société anonyme des chemins de fer vicinaux belges en dommages et intérêts. La 4ème chambre du tribunal civil vient de lui accorder 20.100 francs d’intérêt."

On notera que la Société générale de Chemins de fer économiques, qui avaient également fait l’essai de ce système à l’une de ses voitures, l’avaient abandonné pour en revenir au système à 5 roues.


Maintenant que nous sommes devenus familiers avec "le déraillable", passons en revue le cahier des charges en question...
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Cahier des charges de la concession d'une ligne de tramway à voitures déraillables (dites voitures à 5 roues) allant de la station du Luxembourg (confins de la Ville de Bruxelles) à la station du chemin de fer vicinal de Schepdael, à la Porte de Ninove


Article premier. La ligne de tramway allant de la station du Luxembourg à la porte de Ninove aura son origine sur le territoire de la Ville de Bruxelles, en partant de la station du Luxembourg, en passant par la rue du Luxembourg, traversant l'avenue des Arts en passant par le boulevard du Régent, la rue Zinner, la rue Ducale, la rue de la Presse, la place de la Liberté, la rue Royale, la porte de Schaerbeek, la rue de Schaerbeek, la rue Pachéco, la rue des Sables, la rue du Marais, la rue du Fossé-aux-Loups, la place de la Monnaie et la nouvelle Poste, traversant le boulevard Anspach devant le Temple des Augustins, suivant la rue des Augustins, la rue du Cyprès, la rue du Béguinage, la rue de l'Infirmerie, la rue du Grand-Hospice, la rue Locquenghien, la porte de Flandre, le boulevard Barthélémy, pour aboutir à la station du chemin de fer vicinal de Bruxelles à Schepdael, à la porte de Ninove et à l'Abattoir.
 

Art. 2. La ligne ferrée sera à simple voie et l'écartement des rails sera de 1,435 mètre. Chaque zone contre rail aura 35 centimètre de largeur.


Art. 25. La voie ferrée devra être entretenue constamment en bon état par le concessionnaire. Elle sera maintenue dans une situation telle que non seulement les voitures de tramways puissent toujours y circuler avec facilité et sécurité, mais, en outre, que la circulation générale des piétons,d es chevaux et des voitures ne puissent en aucune manière être entravée ni gênée.


Art. 33. Les voitures seront d'un modèle agréé par le Collège. 
Art. 34. Elles seront construites de manière à pouvoir circuler facilement sur les rails. 
Art. 35. Chaque voiture, disposée de façon à offrir l'espace nécessaire au nombre maximum de voyageurs fixé par le Collège, portera l'inscription du nombre de personnes qu'elle pourra contenir. Il sera interdit d'en admettre d'avantage.
Art. 36. Une inscription, lisible à distance, indiquera à l'extérieur de chaque voiture, les points extrêmes de son itinéraire.
Art. 37. Les voitures circulant après le coucher ou avant le lever du soleil seront éclairées à l'intérieur et porteront à l'avant et à l'arrière des feux de couleur.

Art. 38. Chaque voiture devra être pourvue de freins capables de permettre, en toute sécurité, la descente des plus fortes pentes du parcours. 
Art. 39. Les conducteurs devront, sans quitter leur place, pouvoir effectuer la manœuvre de freins. Ils seront munis de sifflet au moyen desquels ils annonceront leur approche aux abords des rues débouchant sur leur route et dès qu'ils apercevront des voitures ordinaires près desquelles ils devront passer.

Art. 42. Le matériel roulant devra être entretenu constamment dans les meilleures conditions, sous tous les rapports, pendant toute la durée de la concession.

Art. 45. Les voitures ne pourront marcher à une vitesse de plus de 12 kilomètres à l'heure.

Art. 48. Un costume uniforme et un numéro distinct seront obligatoires pour les conducteurs et les receveurs dans l'exercice de leurs fonctions. Ce costume-type sera soumis à l'approbation du Collège.

Art. 49. Le personnel sera assez nombreux pour qu'aucune partie du service ne puisse rester en souffrance. Chacun des divers agents composant le personnel devra posséder les aptitudes et l'expérience nécessaires pour bien remplir son emploi spécial.


Art. 51. Le service aura une durée minima de 16 heures en été et de 15 heures en hiver. Il devra commencer au plus tard à 7h du matin en été et à 8h en hiver jusqu'à 11h du soir. Les départs auront lieu au minimum toutes les 15 minutes de 7 à 9h du matin et de 9 à 11h du soir et toutes les 10 minutes de 9h du matin à 9h du soir.
Dans un délai de 5 ans à partir de la mise en exploitation du réseau, le service, si la Ville l'exige, devra se faire jusqu'à minuit en raison d'un départ toutes les 20 minutes à partir de 11h du soir.
Art. 52. Le concessionnaire aura la faculté d'augmenter la durée et la fréquence du service, s'il juge que les nécessités du trafic l'exigent.


Art. 63. Pour l'indemniser de la dépense faite à raison des charges de la présente concession, la Ville de Bruxelles accorde au concessionnaire le droit de percevoir à son profit, pendant toute la durée de la concession:
Cinq centimes par section ou partie de section parcourue, avec un minimum de 10 centimes par voyage et un maximum de 20 centimes.
Tout voyageur qui montera sur une voiture entre deux sections paiera comme s'il était monté au commencement de la section. Tout voyageur qui descend entre les deux extrémités d'une section paiera comme s'il descendait à l'extrémité de cette section.

Art. 64. Les voitures n'auront que des places d'une seule catégorie.

Art. 65. La ligne est divise en 5 sections:
1. De la station du Luxembourg à la rue de l'Orangerie;
2. De la rue de l'Orangerie à la porte de Schaerbeek;
3. De la porte de Schaerbeek à la rue des Sables;
4. De la rue des Sables au boulevard Anspach;
5. Du boulevard Anspach à la porte de Ninove.

Art. 66. Les enfants au-dessous de 4 ans, tenus sur les genoux, sont transportés gratuitement. Il en sera de même de tous les objets, tels que sacs de nuit, étuis à chapeaux, valises, cartons ou paquets ne dépassant pas un poids de 15 kg ou un volume de 50 centimètres de longueur sur 15 centimètres de hauteur et 30 centimètres de largeur et qui pourront être placés sur les genoux ou sous les bancs, sans inconvénient pour les autres voyageurs.


Art. 68. Une redevance annuelle de 5.000 francs sera payée à la Ville pendant toute la durée de la concession.

Art. 83. Le concessionnaire est tenu d'afficher dans chaque compartiment des voitures, ainsi que dans toutes les dépendances des tramways affectées au public, des tableaux renfermant les indications relatives aux heures de départ, aux points d'arrêt, à l'application des tarifs et en général tous les renseignement concernant le service du tramway, qui seraient de quelque utilité pour le public et dont le Collège exigerait la mention. Il affichera également les dispositions des règlements d'ordre concernant les voyageurs.

Art. 84. Le concessionnaire sera tenu, pendant toute la durée de la concession, de prêter son concours à l'Administration des postes et télégraphes, dans les limites indiquées ci-après:
a) Des boites mobiles disposées pour recevoir les lettres, télégrammes et correspondances de toute nature pourront être adaptées à toutes les voitures du concessionnaire. Celui-ci opérera gratuitement, sur le parcours de toute la ligne, le transport de ces boites et de leur contenu.
b) Les facteurs des postes et les porteurs de télégrammes pourront prendre place gratuitement dans les voitures avec les correspondances de toute nature et les dépêches dont ils seraient porteurs, sans que toutefois il puisse y avoir sur chaque voiture plus de deux agents des Administrations.

Arrêté par le Collège des Bourgmestre et Echevins en date du 15 novembre 1889.


On notera que l'adjudication de la ligne en question eut lieu lors du Conseil communal de la Ville de Bruxelles du 8 août 1890. Toutefois, le Ministre des travaux publics n'ayant donné son adhésion à la partie du projet allant de la Station du Luxembourg à la Porte de Schaerbeek, il ne fut procédé qu'à l'adjudication de la partie restante de ce réseau (autrement dit, du trajet "Porte de Ninove - Porte de Schaerbeek"). La société des Chemins de Fer vicinaux belges fut déclarée concessionnaire, moyennant une redevance annuelle totale de 5.000 francs. La concession fut approuvée par arrêté royal du 20 août 1890.

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