samedi 8 novembre 2025

Aux Ateliers de Tubize, du 1er octobre 1895 - 15 juin 1899 (épisode 3/8) ^^

 La suite des aventures du jeune Omer ^^

Du 1.10.1895 au 31.12.1895, je ne touchai aucun salaire. Comme je l'ai dit, au début, la Direction de Bruxelles n'avait pas donné son pour l'engagement d'un employé. Mon chef jugeant que je rendais déjà des services décida de me donner quelque chose. Il entrait, chaque année, à l'atelier une série de gamins, la plupart fils d'ouvriers de la Société, à partir de 11 ans déjà, pour apprendre un métier. Chacun restait en apprentissage 3, 4, 5 ans ou plus suivant son habileté. Dès que l'apprenti commençait à faire quelque chose ⁃ généralement après un an ⁃ ou bien si le père rouspétait, il était inscrit sur la liste des salariés et touchait 2 ou 3 centimes à l'heure. J'obtins, en janvier 1896, en raison de mon âge, de mes études et de mon travail, 0,10 francs à l'heure. J'étais inscrit comme les ouvriers pour 10h.de travail, alors que je n'en faisais que 83 h. J'étais le plus heureux des gamins. Ramener 1 franc par jour à ma mère, alors qu'elle nous avait élevés tous les 4 en allant à la journée faire 10 h.de travail pour UN franc. Elle était restée veuve avec 4 enfants de 16, 14, 11 et 9 ans ! 

Les 3 employés étaient au bureau, consciencieux, honnêtes et familiers, rarement absents toujours à l'heure, sauf la petite licence de midi ils prenaient tous les trois leur fonction à cœur. Le bureau d'ailleurs était calme. les visites étaient rares. Le Directeur n'apparaissait pas. C'était trop bas pour lui. Parfois le chef d'atelier, frère du comptable, plus souvent l'agent réceptionnaire. Le téléphone n'existait pas, sauf un porte-voix en communication avec le Directeur et un second avec le magasin. La plus grande tranquillité régnait dans le bureau. Les seuls bruits étaient le passage des trains de la ligne Bruxelles-Paris en dessous de nos fenêtres. Les travaux de la grosse chaudronnerie qui duraient parfois plusieurs jours étaient plus agaçants. C'est dans cette ambiance que j'ai grandi au propre et au figuré. De 1,54 m à l'entrée, je mesurais 1,63 à ma sortie Je m'y suis formé entièrement à la vie de bureau: régularité dans les heures d'entrée, rapports courtois avec les collègues, serviabilité poussée à l'excès, travail consciencieux et expéditif, respect et crainte du chef, ce qui faisait dire à DUMOULIN que je pouvais me présenter partout avec assurance et que je ferais mon chemin. A la sortie du bureau à 6 h. le village était calme et la soirée encore plus. Il n'y avait ni théâtre re ni cinéma il n'existait pas encore  ni plaine de jeux, ni société de gymnastique. Le football était encore dans la nuit des temps. Le vélo existait à peine. C'est le pharmacien DRUART qui vint, un des premiers, s'entrainer sur le boulevard de la Senne, ancien chemin de fer Zamann, reliant les Carrières de Quenast au canal de Charleroi, qui se prêtait très bien à cet exercice. L'été, une section de balle-pelote avait de la vogue, l'hiver le cercle dramatique la Renaissance avait du succès. Le cercle musical libéral, la société de musique la mieux douée, rappelait aux Tubiziens son existence, le dimanche de la kermesse, par l'organisation d'un grand concert dans le centre de la commune. Il n'y avait ni banque, ni agent de change, l'argent était rare. Quel contraste avec le présent! Pas de magasin Delhaize, pas de marchands de fruits ou de légumes de quelque importance. Tubize avait conservé son caractère rural, malgré les 6.000 à 7.000 habitants de ce centre industriel. Quatre cafés-billard de belle allure: à la gare, WAROCQUIER – grand place, la Boule d’Or et DALOZE - rue de Mons, LEDUCQ le local libéral. Ni brasseries, ni bodéga. Les demis et la bière en bouteille n'existaient pas, l'apéro non plus. C'était le régime de la chope et du petit verre, la vie au café était monotone. Chaque famille avait son jardin grand ou petit.  Il était entretenu, en été, à la fin de la journée ou le dimanche matin. Aussi, rien d'étonnant que l'on se permit au bureau de petites licences de temps en temps.

Chaque mercredi le Directeur se rendait à la bourse industrielle à Bruxelles. Il quittait Tubize par le train de 10 h.et demi ou de 12h et demi, pour rentrer dans la soirée. En tout cas le lendemain matin, il était toujours au poste. Nous étions tranquilles l'après-midi, mais il fallait être sûr de son départ Quelques semaines après mon arrivée. on me fit faire le guet. Le Directeur habitait la grosse maison au coin du passage à niveau de la Bruyère. Une sortie donnait directement sur la cour de l'usine, une autre sur la route communale. C'est par cette dernière qu'il se rendait à la gare, en empruntant la route des véhicules conduisant à la gare aux marchandises. Il fallait sortir de l'usine, faire une fausse commission à la fonderie SOUMILLON, toute proche. Dès que le train était passé, le Directeur aperçu ou non, je rentrais au bureau. S'il avait pas été aperçu, je devais recommencer le même jeu du côté de la cour, cette fois vers deux heure et demi. Il faisait, chaque jour, sa seconde tournée dans l'usine à ce moment. J'allais, je venais, je tournais autour du magasin; après dix minutes je rentrais au bureau, le Directeur vu ou non. Voilà à quoi on me faisait passer mon temps. Il est vrai que je ne coûtais pas cher Quand on était certain de son départ, l'ouvrier de course de l'usine se rendait vers 4h. chez BAESBERG, le café de la rue de l'industrie, proche de l'usine, réputé pour son lambic au tonneau. Il y avait un second café vendant le lambic, c'était celui de la veuve LEMAIRE, mais il était distant. L'ouvrier était porteur d'une cruche à eau toujours le même et rentrait assez vite avec quelques litres de la précieuse boisson, à 0,30 francs le litre. Ce n'était pas une ruine, puisqu'on était quatre pour payer les frais Je n'étais pas le quatrième, c'était M. TISTOUT, le chef du bureau de dessin. Moi, j'étais le petit domestique, dès le matin déjà, je rinçais les verres, servais et trinquais à l'œil, tout cela d'accord avec mon chef. J'étais toujours le petit et j'étais très heureux de pouvoir participer à pacifique et modeste agrément. J'avais de la joie à constater ce l'extrême plaisir je dirai même le régal de ces quatre pères dont deux chargés de familles nombreuses, DUMOULIN & TISTOUT. Ils buvaient d'un si bon cœur qu'on aurait dit qu'ils en avaient été privés depuis longtemps Tout cela, malgré l'absence du Directeur se faisait dans le plus grand secret. Les 5 verres étaient placés sur une planche de la grande armoire en retrait, se trouvant dans le prolongement du grand classeur, du côté opposé à 1a porte d'entrée A la moindre alerte, je refermais la double porte et in vu, ni connu. Quand l'ouvrier rentrait, M. TISTOUT était appelé discrètement par la baie de service, communiquant avec le bureau de dessin. Il était toujours présent car il attendait cet appel. Il faisait tout pour ne pas rater l'occasion, il en aurait fait une maladie. Quand il entrait dans notre bureau, il avait le sourire du bon vivant qu'il toujours été et pour léchait déjà les babines.

La cruche ne se vidait pas d'un trait. C'était le petit verre, à 3 cens qui était toujours employé. On recommençait toutes les demi-heures. TISTOUT revenait automatiquement. C'était-une belle après-midi. Pour moi d'abord, pas de courrier signé, nulle expédition à faire. Ensuite je n'avais jamais mis les pieds dans un café. Je connaissais cette bière parce qu'elle avait une grande vogue à Hal où j'avais été de nombreuses années à l'école. Aussi, je ne buvais pas goulûment. J'étais même très réservé. Mais quel plaisir j'avais à voir mes quatre bons hommes se pourlécher. On aurait dit des enfants à la kermesse. Aussi ne rataient-ils jamais un mercredi, c'était presque un drame quand le Directeur ne partait pas. Pour rien au monde mon chef n'aurait rompu la consigne.

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