La suite des aventures du jeune Omer ^^
La Saint Eloi est la fête des métallurgistes - on dit métallo en 1947 - fête locale sans déploiement de baraques foraines Nous sommes d'ailleurs au cœur du vrai hiver, le 1er décembre. Mais tout ce que comporte le travail du fer chôme ce jour-là, mais sans salaire payé. 50 ans plus tard, les jours fériés sont pour la plupart des journées à salaire payé. En 1947, le 1er mai est devenu jour férié à salaire payé. La Saint Eloi attend son tour. La véritable réjouissance de la Saint-Eloi se passait la veille dans les ateliers A la rentrée de l'après-midi, le café habituel avait fait place au genièvre ordinaire, au vrai Hasselt, au vieux système au faro, ou au lambic au tonneau, chacun apportait sa quote-part au moulin. D'abord, c'était les amis qui échangeaient le verre d'amitié, puis doucement les têtes s'échauffaient, entrainant tout le monde dans le tourbillon. On entendait par-ci, par-là de petits pétards. Des groupes se formaient dans l'usine, le remue-ménage commençait. Bientôt, les gros pétards étaient placés à la forge, c'était le signal de la révolte pacifique. Tout travail cessait. Les ouvriers prenaient le large, on quittait l'usine. Les contremaitres et le chef d'atelier s'y mettaient activement ou passivement. Le personnel n'était pas inquiété. L'usine était généralement déserte vers 5 heures et je pense que la journée était payée complètement. Puis des groupes déambulaient dans les différents cafés de la commune jusque bien tard dans la soirée.
Le 30.11.1895, première Saint Eloi depuis mon entrée, le petit régal du mercredi s'était sensiblement amélioré. Aucune crainte de la Direction cette fois. Dès le matin notre chef s'était préoccupé de nous procurer un extra. Il s'adressait habituellement à un de ses bons amis. Cette fois, c'était au vieux brave Honoré SOUMILLON, il avait préparé pour la circonstance une bouteille de vieux Hasselt de plusieurs lustres de cave. Le bouchon vétuste, moisi extérieurement, indiquait bien son âge, La boisson était jaune semblable à du vin. De plus quand on versait dans les verres, elle était onctueuse et répandait un arome particulier Le quatuor était impatient de la goûter. Comme l'autre, ils auraient pu dire "le petit Jésus va pisser dans ma bouche ". Vers 3 heures, on trinquait pour la première fois entre les habitués. Puis, petit à petit, apparaissaient d'abord, le chef d'atelier, question de se soustraire dans l'usine aux nombreuses sollicitations du personnel ensuite, l'agent réceptionnaire GANDIBLEU, le magasinier MEULEPAS, et de temps en temps des fournisseurs locaux. Le Hasselt était alléchant tous s'en donnaient. Moi, j'étais méfiant. J'avais rarement bu du genièvre et surtout pas de cette qualité. Aussi ne tarda-t-il pas à monter la tête. Heureusement, la bouteille n'était pas inépuisable, on servit bientôt la fin. Chose prévue, bien sûr par le quatuor car la cruche remplie de lambic attendait son tour Les vieux avaient certainement un malin plaisir à me ficher la cuite. On a beau être prudent, de 3 à 5 h., il passait de l'eau sous le pont, mais aussi de la boisson dans l'estomac. Le lambic succéda au Hasselt, tout le bureau s'animait et votre serviteur aussi.
J'allais au bureau banalement habillé, une chemise de couleur avec cordelière, une casquette comme couvre-chef; mes collègues n'y allaient pas autrement Ce jour-là, je ne sais pourquoi, on s'était endimanché sans doute pour la sortie après le bureau. On avait mis son beau costume, un chapeau boule en peau boule en peau de lapin, acheté 3,50 f chez les 3 filles DELCHAMBRE. Quand les gros pétards fonctionnent dans l'atelier, tout doit cesser chez les employés comme chez les ouvriers et le mot d'ordre est toujours suivi c'est la trêve officielle. Au moment de sortir je mets mon chapeau et par un geste énergique je l'enfonce tellement bien que la couronne se détache. J'avais du coup un collier et une espèce de calotte de moine. Vous voyez le tableau. Les vieux riaient, comme s’il n'était passé qu'une bonne larme rafraîchissante dans leur gosier. Et puis, à 50 ans, on peut là contre. Au demeurant j'avais très peu bu, mais jeune (18 ans), malingre et maladif, il ne m'en fallait pas davantage pour être éméché.
Débarrassé de mon couvre-chef, j'allais dans quelques cafés de la commune avec les jeunes du bureau de dessin, qui n'en étaient pas à leur coup l'essai. Je ne m'attardai cependant pas. A 7 H., je rentrai, seul chez moi. La nuit était noire. Les rues n'étaient pas éclairées à cette époque. Impossible d'entrer la clef dans la serrure de la porte. Je tombais et m'assis sur le seuil de la porte. Ma mère était déjà au lit mais elle ne dormait pas, elle entendit du bruit, apparut à la fenêtre et elle vint me tirer de la triste situation où je me trouvais. Il fallut toute la journée du lendemain pour me remettre. J'avais été baptisé à la Saint Eloi mais un baptême qui porta ses fruits; l'autre avait mal tourné. Par la suite je suis devenu, de plus en plus, prudent. J'allais d'ailleurs peu au café pour le plaisir d'y aller. Ce n'est que plus tard, au en août 1898, lors de la création de la société de gymnastique " La Vaillante ", que j'étais tenu d'y aller les deux jours de répétition. Si la conduite de ma vie de jeune homme a puisé son enseignement dans les conséquences de la rigolade de mes trois vieux collègues, le jour de la Saint Eloi;:je les bénis maintenant de l'occasion qu'ils m'ont donnée de forger mon caractère, celui-ci ayant joué, par la suite, un rôle important au cours de ma longue carrière.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.