Un petit morceau de l’histoire du développement des transports publics bruxellois se trouve parfois au hasard d’un détail d’une carte postale. Dans le cas présent, il s’agit d’une boîte aux lettres qui a attiré mon attention… pour me rendre compte par la suite que le type de véhicule photographié sur la carte postale ci-dessous m’était inconnu.
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La voiture 48 des « Vicinaux Belges », passant place de Brouckère, entre 1897 et 1899. |
Après enquête, il est apparu que ce véhicule était en fait une voiture de la société anonyme des Chemins de fer vicinaux belges (à ne pas confondre avec la SNCV !)
Cette société, établie rue du Pont Neuf à Charleroi et dirigée par Monsieur J-B. Finet, banquier de profession, obtient sa toute première concession par arrêté royal du 31 octobre 1882 : il s’agit d’une ligne de tramway reliant Charleroi à Gilly et à Montignies-sur-Sambre.
Cette même société, fort de son expérience à Charleroi, introduit une demande d’autorisation à la Ville de Bruxelles le 3 janvier 1889 afin de pouvoir établir une ligne de tramway déraillables reliant la porte de Ninove à la Gare du Luxembourg. L’exploitation de la ligne, limitée à la porte de Schaerbeek est accordée par l’arrêté royal du 20 août 1890.
L’itinéraire est le suivant : Porte de Ninove, boulevard Barthélémy, porte de Flandre, rue de Locquenghien, rue du Grand-Hospice, rue de l’Infirmerie, place du Béguinage, rue des Augustins, traversée du boulevard Anspach (devant l’église des Augustins), rue du Fossé-aux-Loups, rue du Marais, rue des Sables, rue Pachéco, rue de Schaerbeek, porte de Schaerbeek. Tout le parcours était à voie simple. Le tarif appliqué est un tarif par section : le voyageur paie 5 centimes par section parcourue, avec un minimum de 10 centimes et un maximum de 15 centimes. Le dépôt des « Vicinaux Belges », sis 43 rue des Fabriques, devient rapidement le nouveau siège social de la société.
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Coupons de transport délivrés sur les lignes (Charleroi et Bruxelles) exploitées
par la société anonyme des Chemins de fer Vicinaux Belges - (c) Coll. A. Pastiels |
Fin novembre 1890, la société adresse à la Députation permanente du Conseil provincial du Brabant une demande en prolongation de leur concession, depuis la porte de Schaerbeek jusqu’à la station Rogier, en passant par l’avenue Galilée, la rue de la Limite et la rue Josaphat. Cette prolongation est accordée par arrêté royal le 13 juillet 1891. Le tarif par section est adapté : le trajet tout entier depuis Schaerbeek jusqu’à la porte de Ninove ne coûte que 20 centimes.
Après quelques mois d’exploitation, les Vicinaux Belges remplacent la "5ème roue" de leurs voitures déraillables et munissent les roues de devant de chaque voiture d’un bandage spécial à relief, qui s’emboîte dans la gorge des rails.
Pour dégager la voiture, il faut un choc très violent et un effort brusque de traction qui fatigue le matériel et les chevaux, et secouent les voyageurs. On peut ainsi lire, dans le "Journal de Bruxelles" paru le 12 novembre 1897:
"Monsieur Iwan Gilkin fut victime, l’année passée, d’un accident de tram, à la porte de Schaerbeek. Pendant que la voiture changeait de voie, le choc fut tel que ce monsieur, qui était installé sur la plate-forme d’arrière, fut projeté avec violence sur le carreau. Il en eut la jambe cassée et souffre encore aujourd’hui de ce pénible accident. Il assigna la société anonyme des chemins de fer vicinaux belges en dommages et intérêts. La 4ème chambre du tribunal civil vient de lui accorder 20.100 francs d’intérêt."
On notera que la Société générale de Chemins de fer économiques,
qui avaient également fait l’essai de ce système à l’une de ses voitures, l’avaient
abandonné pour en revenir au système à 5 roues.
Le personnel de la société des chemins de fer vicinaux Belges effectuait le plus dur de tous les services imposés, à l’époque, par les compagnies de transport de l’agglomération bruxelloise. La cavalerie était dans un état épouvantable de maigreur et de malpropreté. Les voitures étaient lourdes, bruyantes et peu entretenues. Il arrivait même que le cocher, après ses heures de service, soit réquisitionné pour le lavage de sa voiture et les soins à donner aux chevaux. Enfin bref, le personnel était surmené.
Pour bien comprendre la situation de ce personnel, il suffit de prendre connaissance des premières dispositions inscrite dans leur contrat de travail. On peut ainsi lire, dans une convention-type pour cocher :
1. Le soussigné s’engage à se soumettre à tous les règlements d’ordre intérieur et notamment aux ordres de service ;
2. La journée de travail est fixée de 6 heures ½ du matin pour finir à minuit. Le soussigné s’engage à travailler le dimanche et les jours de fête aux mêmes conditions ;
3. Tout cocher qui manquera au service pour lequel il sera porté sur l’ordre de service journalier, paiera une amende de 5 francs la première fois, de 10 francs la seconde fois, et pourra être congédié à la troisième fois, avec une retenue de cinq journées de travail ;
4. La société se réserve le droit de congédier sur le champ tout employé qui ne lui conviendrait pas, qui refuserait d’obéir aux ordres donnés par ses supérieurs ou qui se trouverait en état d’ivresse en service.
Je vous épargne la suite, retenez juste que la journée de travail est d’au minimum 15 heures et demie sur voiture. Il faut compter le temps d’apprêter la voiture au dépôt le matin, le temps pour la ranger au soir et ne pas oublier que certains services se terminaient après minuit. Ce dur labeur n’était rétribué que par un salaire quotidien de 3,20 francs la première année et 3.50 francs ensuite. Le personnel ne bénéficiait d’aucune gratification liée à l’ancienneté de service, ni à aucun défraiement pour l’achat de leur uniforme. De plus, aucune organisation de secours mutuel ne leur venait en aide en cas d’incapacité de travail par maladie ou par accident.
L’exploitation de cette ligne se poursuit jusqu’en 1900 où, par arrêté royal du 23 juillet, elle est reprise par la société générale de Chemins de fer économiques. Dès le transfert de la concession à cette dernière, le tronçon porte de Ninove – place de Brouckère est supprimé et le point de départ est établi place de la Bourse. La société anonyme des chemins de fer vicinaux belges continue cependant l’exploitation de sa ligne de Charleroi, et déménage son siège social vers le 31 rue du Marais. Je n'ai pas continué les recherches au-delà de 1905.
Bon dimanche et à bientôt,
Callisto