Nous
avions, dans un précédent article, abordé le développement des premiers
transports en commun bruxellois, depuis de l’indépendance de la Belgique jusque
dans les années 1880. Nous poursuivons notre voyage dans le temps, qui nous
conduira des années 1890 à la première guerre mondiale.
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A l’aube du 20ème siècle, le rythme de la vie urbaine s’accélère de plus
en plus. La population des faubourgs voit sa condition sociale
s’améliorer, elle "s’urbanise" et participe activement à la vie de la
grande ville. C’est dans celle-ci qu’elle prend l’habitude de venir se
ravitailler, s’habiller, se divertir et s’instruire. Grands magasins,
banques, bureaux et petites industries y appellent quotidiennement un
nombre toujours croissant d’habitants des communes suburbaines. La
première desserte des faubourgs de l’Ouest de Bruxelles intervient le 2
septembre 1893, lorsque la Société Générale des Chemins de Fer
Economiques relie la Bourse à la Place de la Duchesse. La plupart des
lignes qui desserviront ensuite Molenbeek (Gare de l'Ouest – mise en
service le 13 septembre 1896), Jette (place communale - mise en service le 14 août
1896) et Koekelberg (également mise en service le 14 août 1896) sont
elles aussi construites par la Société Générale des Chemins de Fer
Economiques.
Malgré la création de ces nouvelles lignes, la clientèle des tramways et omnibus reste une clientèle d’affaire, masculine et plutôt financièrement aisée. Comme nous l’avons vu ci-avant, les femmes de l’aristocratie et de la bourgeoisie ne prennent les transports en commun que le dimanche pour se rendre au Bois de la Cambre, tandis que les ouvrières (et les ouvriers !) hésitent à dépenser chaque jour un dixième de leur salaire pour se rendre à leur travail.
Dans la seconde moitié du 19ème siècle, et en dehors de la bourgeoisie, les femmes, majoritairement, travaillent, que ce soit dans l’agriculture, l’industrie textile, les ateliers de confection, les grands magasins ou comme domestiques.
Les conditions de travail, peu importe le secteur d’activité, sont des plus précaires : on travaille jusqu’à 16h par jour, pour un salaire journalier moyen de 3 francs 50 pour les hommes, 1 francs 50 pour les femmes et 0.50 francs pour les enfants.
Des ouvrières à la sortie de leur usine, au début du siècle passé. Date, lieu et auteur inconnu. |
Les progrès de la législation sociale sont lents : les premières dispositions relatives à la durée du travail ne sont prises qu’après les grèves de 1886. Le travail des enfants de moins de 10 ans est interdit et la durée quotidienne du travail alors est limitée à 6h30 pour les enfants de 10 à 14 ans, à 10h30 pour les adolescents entre 14 et 18 ans et à 12h30 pour les adultes.
Il faudra encore attendre 1905 pour que
le législateur instaure le repos dominical, 1911 pour que le travail de
nuit des femmes et le travail souterrain des jeunes de moins de 14 ans
soit interdit, 1919 pour l’obligation scolaire, 1921 pour l’introduction
des 8 heures par jour et des 48 heures par semaine, 1936 pour la loi
sur les congés payés (6 jours par 12 mois de travail !) et 1955 pour la
semaine des 5 jours.
Revenons aux Tramways Bruxellois, qui, comme n’importe quel employeur de l’époque, font aussi appel à de la main d’œuvre féminine, notamment Louise Palsterman, Léontine Devis et Louise Wauters, toutes trois laveuses de voitures.
Le développement du réseau des Tramways Bruxellois n’intervient véritablement qu’avec l’adoption de la traction électrique. Ce nouveau mode de traction va permettre la création de nouvelles lignes et la modification d’exploitation des lignes existantes. Et vu que la traction électrique est bien moins onéreuse que la traction chevaline, il va s’en suivre une importante diminution de prix. C’est ainsi qu’en 1899, les Tramways Bruxellois fixent le prix maximum d’un billet de tramway à 15 centimes en seconde classe et 20 en première classe. Et cela peu importe la distance parcourue ! Dans le même temps, la Société met en place des tickets à prix réduit (10 centimes en seconde classe) délivrés aux ouvriers, les jours ouvrables, le matin jusqu’à 8 heures et le soir, de 7 à 8 heures. Les travailleurs et travailleuses ont maintenant à leur disposition un moyen de transport plus rapide et moins cher qu’auparavant.
Le plus souvent, les concessions de nouvelles lignes de tramways sont dirigées vers les quartiers déjà bâtis, qu’ils contribuent à développer par la suite. Ce fut le cas de la prolongation de la ligne Bois-Teniers jusqu’à la gare de Schaerbeek en 1903. Mais parfois, dans certains faubourgs, l’urbanisation va de pair avec la création de nouveaux moyens de transports en commun, comme par exemple, l’aménagement du boulevard du Souverain entre 1899 et 1910.
La plupart des nouvelles lignes créées au début du 20ème siècle étaient assurées d’un trafic immédiat permettant de rentabiliser les capitaux investis. D’autres lignes avaient pour but d’augmenter le nombre de voyageurs sur les lignes existantes. C’est ainsi que, vers 1910, quasiment toutes les communes de l’agglomération bruxelloise sont reliées à la ville.
Plan de 1910 du réseau de transport en commun bruxellois (tous exploitants confondus) – © Coll. A. Pastiels |
Le réseau des Tramways Bruxellois est ainsi passé, en un peu plus de 30 ans, de 50 kilomètres de voies en 1882 à 145 kilomètres en 1913. Quant au nombre de voyageurs, il est passé de 10 millions en 1874 (pour 300.000 habitants pour l’agglomération bruxelloise), à 40 millions en 1899 (pour 600.000 habitants) et à 165 millions en 1913 (pour 750.000 habitants).
Mais comment se comportent ces 165 millions de passagers après qu’ils soient montés en voiture ?
Pour répondre à cette épineuse question, plongeons dans le « Guide des Convenances » publié par le « Petit Echo de la Mode », au chapitre « Dans les véhicules publics » :
« Vous n’exécuterez pas de travail manuel qui soit un danger permanent pour les autres, en cas d’un mouvement imprévu : aiguilles et crochets de fer sont à prohiber. Vous resterez à votre place, lisant ou regardant le paysage, tranquillement. Il est encore poli de ne pas fixer ses voisins avec trop d’insistance, de ne point détailler leur toilette des yeux et de ne point suivre leur conversation. On évitera de bousculer ses voisins en montant ou en descendant d’un véhicule. On évitera également de gêner ses voisins avec des paquets, de les mouiller avec un parapluie ruisselant d’eau, de marcher sur leurs pieds en gagnant sa place, de parler à voix haute, de faire des remarques désobligeantes, de prendre des airs dédaigneux. Du moment qu’on emprunte des voitures publiques, on doit supporter ses compagnons de route, même si on les juge vulgaires ou peu soignés.
Il est recommandé aux jeunes gens et jeunes femmes de toujours céder et même offrir la place qu’ils occupent à l’intérieur du compartiment aux personnes âgées. Il est certains soins qu’un voyageur doit rendre à une voyageuse : ouvrir une portière, passer un paquet, l’aider à descendre. La voyageuse remercie poliment. Mais dans un wagon ou tout autre lieu public, les gens bien élevés n’engagent jamais de conversation avec des inconnus. On peut demander ou donner un renseignement d’un ton poli et aimable, mais ensuite on fait bien d’ouvrir un livre ou un journal afin de ne pas continuer l’entretien. La prudence exige que l’on ne parle pas de ses affaires intimes aux parents ou aux amis qui voyagent avec nous, en présence d’inconnus. On ne sait jamais devant qui l’on s’épanche et cet abandon peut avoir de graves conséquences.
Vis-à-vis des employés, il est indispensable de se montrer poli : présenter son billet à toute réquisition, tenir compte des règlements qu’un employé rappelle, lui demander un renseignement d’une voix aimable, le remercier quand il l’a donné, ne pas les obliger à nous prendre en surcharge. La bonne éducation se révèle aussi dans le respect envers le matériel : ne jetez point de papier ou de détritus sous les banquettes, ne déchirez pas les rideaux. C’est une marque de déférence que vous donnez aux voyageurs qui vous accompagnent et à ceux qui vous succéderont.
Toutes ces précautions révèlent la personne bien élevée. Cependant, il est possible que chaque voyageur ne manifeste pas la même réserve, ni la même discrétion que vous. Ne le soulignez pas et essayez de supporter sans impatience les petites incommodités qui en résultent pour vous. Cela est préférable à toute discussion. La certitude d’être correct quand les autres ne le sont pas donne une satisfaction intime qui console de bien des petits ennuis. »
La place du Sablon vers 1910. © Coll. Mupdofer |
La mode féminine des années 1910 se caractérise par une silhouette plus fluide. Les vêtements sont longs et couvrants, les chapeaux sont de plus en plus larges, et l’usage du corset se perd peu à peu, ce qui rend la tenue féminine un peu plus adaptée aux transports en commun.
« La Mode Illustrée », couverture du numéro paru le 6 mars 1910 |
Pendant que la classe moyenne tente d’imiter les tenues vestimentaires (et le mode de vie) des dames issues de la noblesse et de la bourgeoisie, les classes laborieuses ne disposent que d’une garde-robe très modeste : principalement des vêtements de travail, taillés dans des tissus résistants et de couleur sombre, et peut être, éventuellement, une tenue « du dimanche », plus convenable pour aller à la messe.
La chaussée de Bruxelles à Tervueren © Coll. Mupdofer |
Un accessoire féminin courant à cette époque est l’épingle à chapeau. Il s’agit d’une tige pouvant atteindre 20 centimètre de longueur, fermée d’un côté par une tête d’épingle décorée, et servant à réunir physiquement le chapeau aux cheveux de la personne qui le porte.
mon épingle à chapeau ^^ |
Si le corset est le seul vêtement qu’une femme ne peut pas mettre seule (il faut une aide extérieure pour serrer le corset à l’arrière), le chapeau est le seul accessoire vestimentaire qui ne puisse pas être mis en place par une tierce personne : les risques de blessures causés par l’épingle à cheveux étant bien trop importants !
Si à priori ces épingles à cheveux semblent être des objets anodins, elles font quand même l’objet de lois et de règlements. Notamment aux Etats-Unis, où une loi de 1908 en limite la taille (de peur que les suffragettes ne les utilisent comme des armes blanches) et à Nantes, où un arrêté municipal de 1910 oblige les femmes à mettre un embout à leurs épingles à chapeaux, afin de ne blesser personne et de ne pas causer d’accident dans les transports en commun. Cet arrêté municipal prévoyait que les contrevenantes se verraient verbalisées. Il en va de même à Bruxelles, comme le relate cet avis des Tramways Bruxellois du 20 janvier 1913.
C’est sur cette anecdote que se clôt notre série « Des Modes et des Tramways, 1830-1914 ».
Bon weekend, à bientôt et merci de nous avoir lu,
Callisto
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