vendredi 11 novembre 2016

La Société Anonyme du Central-Car ^^

J'ai trouvé sur Ebay une action de la Société Anonyme du Central-Car. Je n'ai pas pu m'empêcher d'investir, car cela est une belle occasion de parler d'une ancienne société de transport assez peu connue. Et pour cause: elle n'a jamais exploité qu'une seule ligne et pendant moins de 20 ans!

L'action est grande (plus grande qu'un A3) et j'ai donc du la scanner "en petits morceaux":

* le recto de l'action:






* le verso, avec quelques extraits des statuts:



* Le recto des coupons



* le verso des coupons:





En ce qui concerne les aspects à caractère historique, la Société Anonyme du Central-Car est constituée le 21 novembre 1893. Elle a pour objet l'acquisition, l'exécution et l'exploitation de trams-cars et de tramways à traction de chevaux, de locomotives ou d'autres moteurs, en Belgique ou à l'étranger. Son siège social est situé au 47 de la rue Saint Josse, tandis que ses écuries et remises se trouvent au 53 de la même rue.

Elle exploite une ligne d'omnibus qui relie le Parvis Saint-Roch, à Laeken, à la place Surlet de Chokier, à Bruxelles, dont M. Ernest Verhulst, principal actionnaire de la société, a obtenu concession en date du 19 février 1894. Pour ce faire, elle dispose de 21 voitures (10 fermées et 11 ouvertes) et de 83 chevaux (dont 8 de réserve). Les conditions de travail sont parmi les plus mauvaises par rapport aux autres sociétés de transport en commun de l'époque: les conducteurs et receveurs prestent 14h de travail sur leur voiture, avec un repos 2h45 pour prendre leur repas.


La voiture numéro 12 du Central-Car, place de Brouckère


Les frais d'exploitation de cette ligne sont élevés: le trajet de la place de Brouckère à la place Surlet de Chokier exige, depuis la rue d'Arenberg jusqu'à la rue Royale, deux chevaux de renfort venant soutenir l'effort des deux chevaux de timon. Afin de remédier à ses difficultés financières, la société n'a pas d'autre choix que de raccourcir sa ligne, qui n'est plus exploitée, à partir du 26 juin 1895, qu'entre la Porte d'Anvers et Place Surlet de Chokier.


Afin de réduire ses frais d'exploitation, la société fera plusieurs essais d'exploitation par autobus. On peut ainsi lire, dans "Le XXe Siècle" du 28 février 1903: « La Société anonyme du Central-Car fait actuellement des essais de transport avec un camion automobile d'une charge utile de 5.000 kilos. Si ces essais donnent des résultats satisfaisants, la traction chevaline sera remplacée par la traction automobile pour le service des voyageurs entre la place Surlet de Chokier et le boulevard d'Anvers. »



Les essais de traction automobile se poursuivent, avec des autobus de modèle différents, mais aucun de ces essais ne semble concluant jusqu'en 1908, où l'on peut lire, dans "L’Indépendance Belge" du 17 février 1908: « Les autobus ont donné d’excellents résultats au cours des essais qui viennent d’être faits par la Société du Central-Car. Le trajet de la Place De Brouckère à la porte de Louvain, qui nécessite 18 minutes au moyen des omnibus à chevaux, a été accompli par l’autobus en 7 minutes.
Le nouveau véhicule est très pratique, les démarrages sont fort aisés et les cahots à peu près nuls. Pour la montée, l’autobus emprunte l’ancien itinéraire. Pour la descente, il traverse la Place Sainte-Gudule et rejoint la rue d’Arenberg par la rue Sainte-Gudule.
En présence des résultats obtenus, la Société du Central-Car a commandé des autobus du modèle essayé et ils seront mis en pratique dès leur livraison.
»


Le 10 février 1909, la Société conclut une convention particulière avec Charles Mourlon, futur administrateur de la Compagnie générale des Autobus, en vertu de laquelle la Compagnie mettrait à l'essai deux de ses autobus sur la ligne du Central-Car à partir du 17 août 1909.



Le journal "Het Laatste Nieuws" nous relate un premier accident d'autobus dans son édition du 1er juin 1909: « Maandagmorgen, rond 7 :30, is de autobus van de Central-Car-Maatschappij in botsing gekomen aan de de Brouckereplaats met een tramrijtuig. De autobus had zijn standplaats voor het Hôtel Continental verlaten en meende de Bisschopstraat in te trekken, wanneer hij op een tramruituig, van Brussel-Zuid komend, botste. Eene hevige paniek ontstond onder de reizigers, doch zij kwamen er met lichte kneuzingen, en geweldige schokken af. De stoffelijk schade is nogal aanzienlijk. »

 

Les ennuis ne s'arrêtent pas là. Le journal "Le Soir" nous relate, dans son édition du 13 juin 1909: « Lorsque voici une bonne décade de semaines déjà, le Central-Car mit les autobus que l’on sait en circulation entre la place de Brouckère et la porte de Louvain, il fut dit et écrit que ces engins n’étaient que des voitures d’essai et que dès que la preuve serait faite de l’utilité de ce mode de locomotion sur la parcours que nous venons de citer, la Compagnie ferait l’acquisition de véhicules d’un type répondant à toutes les justes exigences du public.

Or, la preuve de l’utilité de ce genre de locomotion est faite. Ce n’est pas que les voitures dont nous parlons ne satisfassent, en somme, leur clientèle, mais que, tout de même, il est à souhaiter qu’on les remplace bientôt par des «mécaniques» un peu plus modernes, d’un type uniforme, et d’allure légèrement plus régulière à la montée. Il y a quelque chose de vexant et de froissant pour notre amour propre de citoyen d’une grande capitale à penser que nous «roulons» sur des voitures que de quelconques Mussipontains
(Ndlr = de la ville de Pont à Mousson, en France) déclarèrent bonnes pour le rebut et dont les Fouillygrenouillards (Ndlr = de Fouilly les Grenouilles, en France aussi) n’ont plus voulu. Les voitures en service sont d’un maniement pénible ; leur mise en train exige des préambules qui font penser à la préhistoire, et l’on peut encore dire par-dessus le marché qu’elles empestent dans une mesure difficilement admissible.

Autant de bonnes raisons, pensons-nous, pour que la Société du Central-Car s’en débarrasse dans le plus bref délai possible.  Qu’elle nous donne des véhicules d’un type plus moderne, plus allant, plus régulier et moins empestatoire surtout.
»


Le dimanche 18 juillet, un second accident se produit sur la ligne Porte d'Anvers - Place Surlet de Chokier. Cet accident est relaté comme suit dans le journal "Le Soir" du 19 juillet 1909: « Un des deux autobus qui font le service entre la place Madou et la place De Brouckère a failli occasionner hier un terrible accident.
Ces voitures n’ont pas seulement l’inconvénient de répandre sur leur passage une odeur nauséabonde de fumée et de graisse brûlée. Elles sont tellement vieilles, tellement usées qu’à tout instant des accidents sont à craindre.
Hier après-midi, comme l’autobus descendait la pente de la rue de la Montagne, les deux chaînes ont sauté de leur engrenage. La voiture était bondée de voyageurs. Le chauffeur a voulu bloquer ses freins, mais ceux-ci n’ont pas fonctionné et l’autobus continua à descendre à une allure inquiétante.
Pour éviter une véritable catastrophe, le chauffeur a dirigé sa machine sur le côté. L’autobus est monté sur le trottoir et a défoncé la vitrine d’une cordonnerie. Le volet et la glace ont été réduits en mille morceaux.
On comprend l’effroi des voyageurs, mais heureusement ils en ont été quittes pour la peur.
»


La réaction de la Société du Central-Car est immédiate: elle retire le modèle d'autobus qui  provoqué l'accident précité du service. On peut ainsi lire dans "Le Soir" du 21 juillet 1909: « La direction du Central-Car a adressé à l’administration communale de Bruxelles et au gouverneur du Brabant la lettre suivante : A la suite de l’accident arrivé dimanche 18 juillet, rue de Loxum, accident qui n’a causé que des dégâts matériels et qui est dû à une rupture de chaînes ayant empêché les freins de fonctionner, nous avons l’honneur de vous faire savoir que nous retirons du service les voitures Darracq-Serpollet. Les nouveaux autobus dont nous ferons les essais très prochainement sont des voitures à essence à forts moteurs, et sans chaînes. Elles seront actionnées par de robustes cardans qui rendent ce genre d’accident impossibles dans les pentes. »





Début 1910, la Société anonyme du « Central-Car » demande à pouvoir substituer la traction mécanique à la traction chevaline sur sa ligne porte d'Anvers-place Surlet de Chokier, et sollicite une nouvelle autorisation de dix ans en remplacement de celle en cours, expirant le 19 février 1914.

En effet, l'autorisation d'établir et d'exploiter, pendant un terme de vingt ans expirant le 19 février 1914, un service régulier de transport en commun par terre entre Laeken (place Saint-Roch) et Bruxelles (place Surlet de Chokier), avait été accordée à la Société anonyme du « Central-Car », par la Députation permanente de la province du Brabant le 7 février 1894 et l’Arrêté royal du 19 février 1894.



Le nouveau projet, tel que soumis à l’avis de la Ville de Bruxelles début 1910, comporte, en outre, l'abandon de la partie du service s'étendant sur le territoire de Molenbeek-Saint-Jean, entre la chaussée d'Anvers (intersection des rues de l'Harmonie et Frère-Orban) et la porte d'Anvers, et un changement d'itinéraire entre la rue d'Arenberg et la rue du Treurenberg, les voitures suivant la rue Sainte-Gudule et la place Sainte-Gudule, au lieu de la rue de Loxum et de la rue des Paroissiens qu'elles empruntent actuellement.



Le service ainsi réduit étant limité exclusivement au territoire de la Ville de Bruxelles, il appartient au Conseil communal d'en accorder l'autorisation, sous réserve de l'approbation royale. Celle-ci n'interviendra qu'en septembre 1910. 





Entre-temps, probablement dans le courant du mois de mai 1910, l'exploitation de la ligne du Central-Car est reprise par la Compagnie générale des Autobus. Cette Compagnie possède des véhicules lourds, pesant près de 5 tonnes, ayant des suspensions très dures et des roues à bandages pleins, et dont la consommation moyenne est de 35 litres au 100 kilomètres. Ces véhicules sont impopulaires auprès des habitants des rues qu'ils desservent. On peut ainsi lire dans le Bulletin Communal de la Ville de Bruxelles du 24 avril 1911: «Compagnie Générale des Autobus – ligne de la Porte de Louvain à la place de Brouckère – Des propriétaires et locataires protestent contre les désagréments qu’occasionne le passage continuel des véhicules. Ils se plaignent également de l’état de malpropreté constant de la place Surlet de Chokier. »



L’affaire décline, et la Compagnie générale des Autobus ne fait circuler ses automobiles que sur les tronçons les plus rémunérateurs de la ligne.

La Compagnie générale des Autobus est finalement dissoute le 26 septembre 1911, et l'exploitation de la ligne est rétrocédée au Central-Car. On peut ainsi lire l'avis suivant, dans le bilan de l'année 1911 annexé au Bulletin Communal: "Société anonyme du Central-Car – suspension de service – à la demande de la Société, nous avons décidé de suspendre provisoirement le service d’autobus Porte d’Anvers – place Surlet de Chokier."

Je n'ai malheureusement pas réussi à connaitre la date exacte de fin d'exploitation de la ligne, ni ce qu'il était ensuite advenu de la Société Anonyme du Central-Car.


Voici, pour conclure, quelques tickets qui ont voyagé sur cette ligne:


(c) Coll. A. Pastiels


Pour en revenir à l'action de jouissance, voici une dernière précision: le capital social de la Société du Central-Car a été fixé, dans l'acte de constitution de la société du 21 novembre 1893, à 200.000 francs, divisés en 1.000 actions privilégiées de 200 francs chacune, auxquelles étaient adjointes 3.000 actions de jouissance, sans expression de valeur.  2.000 de ces actions de jouissance étaient partagées entre les souscripteurs des 1.000 actions privilégiées, dans la proportion de 2 actions de jouissance pour une action privilégiée. Les 1.000 autres actions de jouissances ont été attribuées à Monsieur Ernest Verhulst, pour le remercier de l'apport de la concession qu'il avait obtenue.


La répartition des titres de la société est alors la suivante:



Bonne soirée,

Callisto

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