mercredi 4 octobre 2017

La Compagnie Générale des Autobus, Bruxelles, 1909-1911 ^^

Bruxelles, 10 février 1909 : Monsieur Charles Mourlon, ingénieur et administrateur de sociétés, conclut une convention avec la Société Anonyme du Central-Car afin d’insérer deux autobus à l’essai, à partir du 17 août de la même année, sur la ligne d’omnibus reliant la Porte d’Anvers à la place Surlet de Chokier via la place de Brouckère, ligne dont le Central-Car est concessionnaire.

La Compagnie Générale des Autobus est constituée deux semaines plus tard par un acte passé devant Maître Albert Bauwens, notaire à Bruxelles, le 27 février 1909 et publié aux annexes du Moniteur Belge le 19 mars 1909, numéro 1456. Les fondateurs de cette société sont :
• Monsieur John Sidney Smith-Winby, président de la société Darracq-Serpollet,
• Monsieur Walter Bernard Hopkins, président de la « The Metropolitan Steam Omnibus Company »,
• Monsieur Charles Mourlon, dont nous avons parlé au paragraphe précédent,
• Monsieur Gaston Philips, agent de change,
• Monsieur Auguste Mallet, administrateur de la société anonyme des Travaux Dyle et Bacalan,
• Monsieur Henri de Fuisseaux, ingénieur,
• Monsieur Auguste Collet, administrateur-délégué de la société anonyme du Central-Car,
•  et Monsieur Paul Wilmart, rentier.

Monsieur Charles Mourlon y déclare faire apport des droits qui lui ont été conférés le 10 février 1909, quant à l’exploitation par autobus de la ligne d’omnibus reliant la Porte d’Anvers à la place Surlet de Chokier via la place de Brouckère, ainsi que du bénéfice d’une autorisation relative à l’exploitation d’une ligne de transport en commun par autobus reliant la Porte de Schaerbeek à la gare du Midi via la gare du Luxembourg. Monsieur Mourlon s’engage également de fournir à la société 36 châssis pour autobus à essence, avec des roues du système Darracq-Serpollet, de la force de 30 à 40 chevaux pour voitures-autobus.

Le siège social de la société se situe au 107 boulevard de Waterloo tandis que le dépôt est sis rue du Croissant à Forest.


Suite à la signature de l’Arrêté royal du 30 juin 1909 autorisant l’exploitation d’un service public et régulier de transport en commun par voitures automobiles entre la place du Luxembourg et la place de la Constitution, l’assemblée générale des actionnaires se prononce sur une augmentation du capital social. Le premier acte de constitution de la société fait ainsi place à un second, en date du 7 septembre 1909. L’acte est passé devant Maître Jean Paul Englebert, substituant Maître Albert Bauwens, tous deux notaires à Bruxelles.

En quelques mois, la liste des actionnaires a bien changé ! Il ne reste que la moitié des membres fondateurs, à savoir Messieurs Mourlon, de Fuisseaux, Philips et Mallet. On ne s’étonnera donc pas du fait que Monsieur Mourlon propose de remplacer son engagement de fournir « 36 châssis avec roues système Darracq-Serpollet » par la fourniture de « 36 châssis pour autobus à essence, d’une marque devant être agréée par le Conseil d’Administration ».

L’assemblée générale extraordinaire valide sa proposition et porte le capital de la société à 1.250.000 francs.







Dès sa constitution, la société a pour objectif d’établir des lignes de transport en commun par autobus dans les grandes villes de Belgique, et notamment à Bruxelles. Parmi les grands avantages du mode de transport par autobus, tels qu’on les percevait au début du siècle passé, on peut citer celui de ne pas nécessiter l’établissement de rails et de permettre, en cas de nécessité, d’établir du jour au lendemain des lignes temporaires.

La Compagnie Générale des Autobus s’apprête à mettre en exploitation une ligne partant de la gare du Luxembourg et aboutissant à la gare du Midi, en passant par la rue de la Paix, l’avenue Louise et la Porte de Hal. L’autorisation d’exploiter cette ligne a été donnée pour 10 ans. On notera que les autorisations d’exploiter la concession de ligne Porte de Schaerbeek à la gare du Midi par la gare du Luxembourg sont délivrées en deux temps : la première autorisation, relative au parcours reliant la place de la Constitution et la Place du Luxembourg, est approuvée par un arrêté royal du 30 juin 1909, tandis que le second arrêté royal, autorisant l’exploitation par la Compagnie Générale des Autobus du second tronçon entre la place du Luxembourg et la Porte de Schaerbeek, n’interviendra que le 11 juillet 1910.

Le matériel roulant destiné à assurer la desserte de cette ligne est présenté aux représentants des communes de Saint-Gilles et d’Ixelles au début du mois de mars 1910.



On peut ainsi lire, dans « L’Indépendance Belge » du 6 mars 1910 : « Les bourgmestres de Saint-Gilles et d’Ixelles, messieurs Bréart et Duray, accompagnés de messieurs les échevins La Barre et Poupé, et des ingénieurs communaux, ont fait l’honneur à la Compagnie Générale des Autobus d’essayer les nouveaux autobus destinés à desservir les lignes de transport en commun gare du Midi – Exposition et Luxembourg - Exposition. Les nouvelles voitures, très élégantes, très spacieuses, magnifiquement éclairées et marchant avec une régularité parfaite, ont conquis d’emblée les autorités communales, qui se sont montrées enchantées des nouveaux véhicules. Ces jours-ci arriveront les autres voitures destinées à desservir le Central-Car et relier le centre de la ville à l’Exposition, également par autobus directs.
Pour l’Exposition, plus de cinquante autobus seront à la disposition du public, qui pourra apprécier le nouveau mode de traction qui a conquis d’emblée la faveur des Bruxellois ».



Un mois plus tard, le lundi 4 avril 1910, la ligne qui relie la gare du Luxembourg à la gare du Midi est  mise en service. L’inauguration de cette nouvelle ligne est ainsi relatée dans « L’Indépendance Belge » du 6 avril 1910 : « Les quartiers de la gare du Luxembourg et de la gare du Midi étaient en fête lundi après-midi à l’occasion de l’inauguration du nouveau service d’autobus organisé par le Compagnie Générale des Autobus. Une foule joyeuse encombre la place du Luxembourg et admire les quatre jolies et confortables voitures qui, toutes pavoisées, sont en partance. L’itinéraire est le suivant : rue du Luxembourg, rue Marie de Bourgogne, rue Caroly, place de Londres, rue de la Paix, rue de la Concorde, rue Berckmans, avenue de la Toison d’or et Gare du Midi. Six voitures à une seule classe seront mises en service. Le prix du trajet sera de 10 centimes. »



Quelques jours après avoir mis sa première ligne d’autobus en exploitation, la Compagnie Générale des Autobus se lance, les 6 et 7 avril 1910, dans une grande opération de vente par souscription publique: 12.000 actions de capital de 50 francs chacune sont mises en vente au prix de 62,50 francs.

Dans le prospectus d’émission, la Compagnie se vante d’exploiter la ligne Porte d'Anvers - place de Brouckère - Porte de Louvain. En réalité, cette ligne appartient toujours à la société du Central-Car, la cession de la concession n’ayant pas encore été ratifiée par la Ville de Bruxelles.

Le prospectus ajoute : « La Compagnie a, en outre, sollicité des autorités compétentes, les autorisations nécessaires pour l'exploitation des lignes suivantes :
1.    Gare du Luxembourg – Porte de Schaerbeek
2.    Porte de Schaerbeek – Gare du Nord – Boulevard de la Senne
3.    Gare du Midi – Place Sainte-Croix – Exposition
4.    Porte de Namur – Gare du Luxembourg – Exposition - Avenue du Derby.
»

Toujours selon le prospectus, 36 autobus seraient mis en service journalier et effectueraient 120 kilomètres par jour. Les châssis des autobus à essence avaient été fournis par la Ryknield Ltd, avec une garantie de 5 ans. Cette petite société, fondée en 1902 et dont l’usine se trouve sur Shobnall Road à Burton-upon-Trent, en Angleterre, produit des véhicules bon marché à vapeur et à essence.

La carrosserie des véhicules avait été réalisée par la société Dyle et Bacalan. Ces véhicules sont lourds (ils pèsent près de 5 tonnes), ont des suspensions très dures et des roues à bandages pleins, et leur consommation moyenne est de 35 litres aux 100 kilomètres. Leur vitesse ne dépasse guère les 15 kilomètres par heure. On notera que Messieurs Mallet, administrateur de la Société Dyle et Bacalan, et Clay, président de la Ryknield Motor Company Ltd, siègent tous les deux au conseil d’administration de la Compagnie Générale des Autobus.



L'autobus 12 de la Compagnie Générale des Autobus, circulant place De Brouckère



Les prévisions budgétaires, telles que communiquées dans le cadre de la vente par souscription des 12.000 actions libérées des 6 et 7 avril, sont les suivantes :
• la recette par kilomètre est évaluée à 0,70 francs et les frais d’exploitation à 0,40 francs
• la recette annuelle est donc estimée à (0,70 x 120 x 36 x 365) = 1.103.760 francs
• les dépenses annuelles sont estimées à (0,70 x 120 x 36 x 365) = 630.720 francs
• les bénéfices sont estimés à 450.040 francs, dont 120.000 doivent être déduits pour l’amortissement des voitures, et 30.000 pour les frais généraux.
C’est ainsi que le bénéfice net annuel est estimé à 295.040 francs.

Cette souscription des 6 et 7 avril est, en réalité, de la spéculation pure et simple. La cession de la ligne Porte d'Anvers - Place de Brouckère - Porte de Louvain n’est pas encore acquise, la Compagnie n’a aucune garantie que les autorisations qu’elle a sollicitées auprès des autorités lui seront accordées, et la recette de 0,70 francs par kilomètre est surestimée. Bref, rien ne justifie la prime de 12,50 francs payée en supplément lors de la souscription. Seuls les fondateurs effectuent une bonne affaire lors de cette souscription, qui leur assure une rentrée de 375.000 francs.


Sans trop de surprise donc, même après avoir repris la lignes du Central-Car fin avril - début mai 1910, les recettes escomptées ne suivent pas. On peut lire dans le journal « L’Indépendance Belge » du 19 décembre 1910 : « La société a transporté pendant ses 8 premiers mois de service sur la ligne Midi-Luxembourg et 6 mois sur celle du Central Car, 853 145 voyageurs, ce qui a donné une recette de 93 125 francs. Répartition faite, la ligne Midi-Luxembourg a eu 568 255 voyageurs, donnant une recette de 56 825 francs, avril à novembre inclus. Quant à celle du Central Car, elle a eu 284 890 voyageurs, fournissant une recette de 36 299 francs.
Le 5 décembre, on a inauguré une nouvelle ligne, qui fera la navette de la gare du Luxembourg à la place Surlet de Chokier, donnant correspondance avec celle du Central Car, aboutissant à la Porte d’Anvers.
»

Cependant, 853.145 voyageurs en 8 mois, même si cela représente plus de 3.000 passagers par jour, à raison de 10 centimes le ticket, cela ne nous fait qu’une recette brute de 83.314,50 francs. Nous sommes très loin du million de francs de recette estimé quelques mois plus tôt.


De plus, bien que la Compagnie avait annoncé un autobus moderne pourvu des derniers perfectionnements, son véhicule est loin d’être parfait. Les plaintes se multiplient. Les causes principales sont le bruit provenant du moteur, les gaz d’échappement pestilentiels et les vibrations occasionnées par le passage des lourdes voitures. Les vibrations, causées par des défauts aux suspensions des véhicules et par l’insuffisance de l’élasticité des bandages de roues, sont telles qu’elles provoquent la chute de nombreux objets dans les propriétés riveraines du parcours suivi, ainsi que la rupture de conduites de gaz et de canalisations d’égouts.

La Compagnie est ainsi mise en demeure d’exécuter rigoureusement toutes les prescriptions de l’article 18 du cahier des charges, relatif au matériel roulant, qui stipule que : « La traction automobile se fera au moyen de véhicules automobiles réunissant dans leur construction, toutes les garanties de sûreté, tout le confort et toute la perfection actuelle et moderne dans l’art de cette industrie ». La Compagnie ne tient aucun compte ni des réclamations, ni de cette première mise en demeure.

On ajoutera que les plaintes ne concernent pas que le matériel, mais aussi la façon dont le service est assuré. Il faut dire que la Compagnie néglige l’exploitation de ses lignes, n’en desservant plus que les parties les plus rémunératrices.


Finalement, la Compagnie est mise en demeure de retirer ses autobus du service, les plaintes des riverains adressées aux autorités ayant été considérées comme étant justifiées. On peut ainsi lire, dans « L’Indépendance Belge » du 5 décembre 1910 qu’ "en accord avec les autorités provinciales, la Compagnie Générale des Autobus va suspendre provisoirement à partir de lundi son service d’autobus entre la gare du Luxembourg et celle du Midi pour pouvoir apporter aux voitures concernées certaines modifications. Cette suspension sera de courte durée, la nécessité de cette ligne étant démontrée par le nombre de voyageurs transportés, soit 465 306 voyageurs pendant les six derniers mois".


La Compagnie Générale des Autobus renonce peu après à l’exploitation de sa ligne Gare du Midi – Gare du Luxembourg. L’exploitation de la ligne de la Porte de Louvain à la place de Brouckère continue. On peut ainsi lire, dans le Bulletin Communal de la Ville de Bruxelles du 24 avril 1911 : « Compagnie Générale des Autobus – ligne de la Porte de Louvain à la place de Brouckère – Des propriétaires et locataires protestent contre les désagréments qu’occasionne le passage continuel des véhicules. Ils se plaignent également de l’état de malpropreté constant de la place Surlet de Chokier ».


La Compagnie Générale des Autobus est finalement dissoute le 26 septembre 1911, et l'exploitation de la ligne Porte d’Anvers – place Surlet de Chokier est rétrocédée à la société anonyme du Central-Car. On notera que la Ryknield Motor Company Ltd, en difficulté financière dès 1905, est rachetée par la Baguley Cars Ltd en septembre 1911, avant d’être dissoute en avril 1912.


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