samedi 12 janvier 2019

La traction électrique par accumulateurs aux Tramways Bruxellois, 1883-1890 ^^

L'idée d'utiliser des batteries comme source d'énergie électrique pour actionner des voitures automobiles n'est évidemment pas neuve. On la rencontre déjà dans la première moitié du 19ème siècle, vers 1840.

La découverte des accumulateurs, capables d'emmagasiner une grande quantité d'énergie électrique, dont on peut disposer à tout endroit et à n'importe quel moment, faisait entrevoir d'immenses avantages. Les premiers essais eurent lieu vers 1880-1881, avant se développer grâce aux perfectionnements dus à plusieurs inventeurs.  La Compagnie des Tramways Bruxellois n'hésita pas à équiper ses véhicules en service d'accumulateurs. Une usine importante fut installée rue Juste-Lipse, où deux deux dynamos pouvaient, ensemble, charger 32 batteries en 8 heures. Ces essais se poursuivirent de 1883 à 1890 et aboutirent à un échec complet. Avec "le Blog", on vous raconte tout ca en détail ^^

Les premiers essais de traction par accumulateur sur le réseau des Tramways Bruxellois ont lieu à l'automne 1883, sur la ligne qui relie Laeken  à Anderlecht. On retrouve une mention relative à ces essais dans leur rapport annuel: "Au point de vue de la marche, de l'arrêt, du démarrage, tant dans les courbes que dans les lignes droites, de la vitesse qui varie à volonté de 2 à 16 km/h, la question parait totalement résolue. Mais pour bien nous rendre compte du prix de revient, nous voulons procéder à une expérience plus complète et plus concluante, portant sur une période assez étendue. Cette expérience aura vraisemblablement lieu sur la ligne de la rue de la Loi".

Cette "expérience" se concrétise le 18 juin 1886, lorsque les Tramways Bruxellois concluent une convention avec la société "L’Électrique" de Messieurs Jules et Edmond Julien, afin d'employer son procédé de traction électrique. Les Tramways Bruxellois construisent 12 voitures spéciales et installent deux dynamos dans le dépôt de la rue Juste-Lipse. La société "L’Électrique" se charge, quant à elle, d'effectuer le placement des appareils de traction dans les voitures.

Leur voiture à accumulateur circule d'abord à l'Exposition des Sciences et des Arts industriels de Paris de 1886. On peut ainsi lire, dans la revue "Le Génie Civil" du 22 janvier 1887: "Le tramway électrique a fonctionné entre la place de la Concorde et l'exposition. Il appartient à la société des tramways de Bruxelles et fonctionne au moyen d'accumulateurs. Chaque voiture est automobile, c'est à dire qu'elle porte avec elle les accumulateurs et le moteur.
Les accumulateurs employés sont du genre Faure-Sellon-Wolkmar, mais leurs plaques sont formées d'un alliage spécial de plomb et d'antimoine, qui augmente leur solidité et leur durée. Ils sont placés sous les banquettes de la voiture. Il y a en a deux séries, l'une est en charge sur le banc de chargement, et l'autre en service dans la voiture. Le moteur est une machine dynamo, placée sous la voiture et commandant les roues par un axe intermédiaire.
"


Le service électrique est inauguré à Bruxelles le 17 avril 1887, par la mise en marche d'une voiture électrique dans le service qui relie la rue Belliard à la Place Royale. Un seconde voiture est mise en service le 8 mai et une troisième le 19 septembre. Sur l'année 1887, les trois voitures électriques parcourent 54.987 kilomètres, soit 4.800 jours-chevaux.



Voyons un peu comment fonctionnaient ces voitures...

Chaque voiture porte avec elle les accumulateurs et le moteur qu'ils actionnent. Les 96 accumulateurs sont placés sous les banquettes, dans 8 boites distinctes comportant 12 accumulateurs chacune. Chaque accumulateur pèse 10 kilos à vide et comporte 17 plaques. Le poids total des 8 boites pleines de liquides (un alliage de plomb et d'antimoine) est de 1.100 kilos. Ce nombre de 96 accumulateurs est calculé pour gravir des rampes de 4%, atteindre une vitesse de 25km/h et permettre un parcours de 150 kilomètres en charge.

La voiture de tramway pèse 5.370 kilos à vide (sans passagers) et peut recevoir 37 voyageurs: 16 à l'intérieur du compartiment et 11 sur les plates-formes.

Il y a deux séries d'accumulateurs employée: l'une dans le voiture, pour le service et l'autre en charge sur le "banc de chargement", dans le dépôt. La substitution se fait très simplement: lorsque l'énergie des accumulateurs placés sur la voiture est épuisée, on amène la voiture devant la banc de chargement, vide et on retire les accumulateurs après avoir ouvert les panneaux latéraux. On fait ensuite avancer la voiture jusqu'au second banc de chargement et on glisse les accumulateurs rechargés à la place des premiers. Cette manoeuvre ne demande que quelques minutes et sans que l'on ait à attacher ou à détacher un seul fil, vu que les contacts électriques se font sous les boites, à l'aide de semelles métalliques reliées électriquement aux deux pôles de la batterie d'accumulateur. On retrouve les mêmes semelles sur le banc de chargement (reliées à la dynamo de charge) et à l'intérieur du tramway (reliées au moteur).



Les boites sont identiques et interchangeables à volonté. A l'intérieur de la voiture, les boites sont d'abord reliées deux par deux, afin de former 4 groupes. Les extrémités libres de ces 4 groupes et les bornes du moteur sont reliées à un commutateur qui effectue les groupements suivants:
* Cran de repos: tous les circuits sont ouverts
* 1er cran: les 4 groupes sont en dérivation sur le moteur. C'est la position de démarrage.
* 2e cran: les quatre groupes, par deux en tension et deux en dérivation sur le moteur
* 3e cran: trois groupe en tension sur le moteur, le 4ème groupe en dérivation sur l'un des trois premiers
* 4e cran: les quatre groupes en tension, ce qui correspond à la marche en grande vitesse sur une ligne droite.
* 5e cran: Cran d'égalisation: les quatre groupes sont reliés entre eux en dérivation, pour égaliser les charges, mais ne communiquent pas avec le moteur. C'est la position normale d'attente pendant les arrêts.

Le commutateur à 5 crans est disposé en double: il y en a un à chaque extrémité de la voiture, mais il ne peut être mis en action que par une seule manivelle que l'on transporte à volonté à une extrémité ou à l'autre du véhicule.
Pour éviter les courts-circuits intérieurs pendant la manoeuvre, il faut que l'un des commutateurs soit au cran de repos pendant que l'autre manoeuvre. Ce résultat est obtenu à l'aide d'une encoche et d'un ergot ménagé sur la manivelle qui ne permet de l'engager ou de la dégager de l'axe que lorsqu'elle est au cran de repos. Tout accident est donc forcément évité, vu que l'on ne dispose que d'une seule manivelle par voiture.

Le moteur, qui pèse un peu plus de 500 kilos, est une machine dynamo placée sous la voiture, qui commande les roues par un axe intermédiaire.  Le changement de marche s'opère à l'aide d'une manette spéciale qui effectue l'inversion du courant, car il n'y a, à proprement parler, ni avant ni arrière dans ce tramway électrique. Quant à l'éclairage, il est effectué à l'aide de deux lampes à incandescence alimentées par un groupe de 24 accumulateurs en tension.


La voiture électrique 53 circulant lors de l'exposition de 1888 sur la ligne Exposition - Impasse du Parc
La gravure est issue du Patriote Illustré paru le 6 janvier 1889.


Les premiers résultats sont assez décevants, comme en témoigne cet article, paru dans la revue "Les Annales Industrielles" du 1er janvier 1888: "Le rapport annuel du conseil d'administration de la Compagnie des Tramways de Bruxelles démontre que l'application de la traction électrique sur trois des voitures de la Compagnie pendant l'année 1887 a eu pour résultat une perte de 15.875 francs.

Ce service avait été inauguré le 17 avril 1885 sur une voiture allant de la place Royale à la rue Belliard.  Une seconde voiture fut mise sur les rails le 8 mai suivant, et une troisième le 19 septembre. Ces voitures se trouvent actuellement sur la ligne de la rue de la Loi.

Leur insuccès financier tiendrait, dit-on, à l'usure rapide des accumulateurs. La dépréciation de ses appareils est évaluée à 22 centimes par kilomètre, et comme cette évaluation ne tient pas compte des frais généraux, ni de la puissance motrice, il est évident que les frais d'exploitation doivent être considérables.

La destruction des plaques est attribuée à l'agitation de l'acide dans lequel elles plongent, ainsi qu'aux vibrations auxquelles les éléments sont exposés. M. Julien se propose de remédier à la cause de destruction par l'agitation du liquide en plaçant un certain nombre d'anneaux en caoutchouc autour des plaques, ce qui aura pour effet de les séparer plus complètement et d'empêcher en grande partie l'agitation.
"



L'expérience commencée en 1887 se poursuit cependant en 1888. On peut ainsi lire, dans la revue "Le Génie Civil" du 21 juillet 1888:

Tramways électriques de Bruxelles. — Il y a deux lignes exploitées qui font un service régulier depuis deux ans. L'une va de la place Royale à l'extrémité de la rue Belliard, et l'autre de l'impasse du Parc au Rond-Point.

Chaque ligne a une longueur de 3 600 mètres, à raison de douze aller et retour par jour (vingt-quatre voyages); chaque voiture parcourt donc 87 kilomètres environ. Le poids total d'une voiture, y compris 32 voyageurs au complet, est de 7 000 kilos. Les accumulateurs, au nombre de 100, sont du système Julien et sont montés, soit 100 en tension, soit 50 en tension et 2 en quantité. Il y a deux jeux d'accumulateurs qui se renouvellent, chacun d'eux n'ayant qu'une capacité d'énergie électrique de 50 kilomètres au maximum.



A priori, c'est donc une belle invention. Dans la pratique, les choses se compliquent. L'expérience n'est d'ailleurs pas prolongée. Bien que les lignes de la rue de la Loi et de la rue Belliard étaient assez favorable à la traction par accumulateur, du fait qu'elles étaient en ligne droite, cet essai de traction par accumulateur donna peu de satisfaction au public. Les voitures ne gravissaient que péniblement les montées (et ne les gravissaient même parfois pas du tout) et les arrêts fréquents demandés par les voyageurs amenaient une décharge irrégulière des batteries. Vu la courte distance (1.650 mètres) qui sépare le rond-point de la rue de la Loi à l'impasse du Parc, un bon marcheur y arrivait aussi vite à pied qu'en tramway.

De plus, les accumulateurs étaient lourds et n'avaient pas une durée suffisante que pour assurer tout un service. Ils obligeaient aussi d'aménager le compartiment avec des banquettes longitudinales. Cela rendait impossible l'usage de voitures ouvertes à banquettes transversales, qui avaient la préférence du public en été.

Les plaques des accumulateurs résistaient peu aux secousses constantes auxquelles elles étaient soumises. Et lorsque la masse active disparait, c'est la capacité électrique qui se retrouve altérée. Certains accumulateurs étaient ainsi rendus totalement inutilisables au bout de trois mois.
De plus, la traction par accumulateur ne tenait pas compte que fait que le matériel roulant de l'époque était double. Il comprenait, d'une part, des voitures fermées pour l'hiver et, d'autre part, des voitures ouvertes soit automotrices, soit de remorque, pour l'été. De plus, il était impossible de faire tracter une remorque par un motrice fonctionnant grâce aux accumulateurs.

L'accumulateur péchait donc par un manque de flexibilité. On ajoutera que le rechargement des accumulateurs s'est avéré être une opération très difficile et délicate; et que le public se retrouvait incommodé par la mauvaise odeur des vapeurs acides, qui se dégageaient pendant la décharge des accumulateurs. 



La traction électrique est abandonnée le 1er mai 1890. Mais cet abandon ne sera que de courte durée. La traction électrique par trolley (câble aérien) est inaugurée en 1894 sur la ligne des boulevards circulaires, tandis que la traction par câble souterrain (par caniveau) est inaugurée en 1897 sur... la ligne de la rue de Loi.

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