lundi 27 août 2018

Une histoire de sabots, 27 août 1892 ^^


Tout commence avec ce petit article, lu dans le "Journal de Bruxelles" paru le  27 août 1892:

"Avez-vous déjà remarqué que les voitures des lignes d’omnibus de la compagnie des tramways s’arrêtent en haut et en bas de chaque pente et qu’alors l’employé chargé de la distribution des billets descend de la voiture, se glisse le long du côté droit de celle-ci et se met à farfouiller autour d’une des roues ?
Les voyageurs qui voient ce manège pour la première fois en sont d’abord un peu surpris et croient souvent à un accident. Quant aux voyageuses, si elles se trouvent dans un omnibus ouvert et assises à l’extrémité d’un banc du côté où l’employé farfouille, elles en ont des petits mouvements effarouchés très compréhensibles.
Mais le brave employé est plus confus encore qu’elles, confus de l’émoi qu’il provoque.

Pourtant, il ne fait qu’accomplir un devoir que lui impose son service. Si l’on est sur le point de descendre une pente, il introduit sous l’une des roues le "sabot" de fer destiné à faire office de frein, après l’avoir détaché du crochet où il est fixé à la paroi de la voiture, près de la roue. Si l’on vient d’arriver en bas d’une pente, il fait l’inverse.

Si cette petite opération étonne les voyageurs, scandalise les voyageuses et fait perdre du temps aux uns et aux autres, elle n’amuse pas non plus le receveur, qui se macule alors les mains de boue ou de poussière.

Il y a cependant un moyen très facile d’éviter aux voyageurs et à l’employé les petits ennuis dont nous venons de parler : le système appliqué sur la ligne de tram déraillable qui va de la Bourse à Saint-Josse-Ten-Noode. L’employé exécute la manœuvre depuis la plateforme même du tram. Il n’a guère qu’à tourner une manivelle et le sabot vient se poser sous la roue ou se dégager de dessous la roue mécaniquement. La voiture ne s’arrête même pas.

Nous nous demandons pourquoi la compagnie des Tramways Bruxellois n’adopte pas quelque système de ce genre."


Evidemment, j'ai essayé de comprendre de quoi il s'agissait. Commençons par les voitures déraillables de la Société Générale de Chemins de fer économiques, qui, comme on peut le voir sur le dessin ci-dessous, ont bel et bien une sorte de frein, dessiné sous la roue arrière (autrement dit: à droite).  On peut aussi voir une chaine qui relie qui relie ce sabot à la caisse, ainsi qu'un mécanisme articulé qui part depuis le centre du sabot et qui le relie à la caisse par une sorte de bras. C'est de ce "bras" dont il est question à la fin de l'article ci-dessus, lorsque l'on parle d'un dispositif de frein actionné par manivelle.
Ce frein est en fait un sabot métallique, avec un recouvrement d’usure (cuir ou bois) destiné à freiner le véhicule dans une descente, pour éviter qu’il ne s’emballe.




Les voitures d'omnibus des Tramways Bruxellois étaient eux-aussi munis de ce genre de frein, mais qui n'était attaché à la caisse que d'une seule manière: par une chaîne en fer. On peut voir ce frein sur le dessin ci-dessous, en dessous de la grande roue arrière (donc de droite).




Vu que le Musée abrite une "vraie-fausse" voiture déraillable n°6 de la Société Générale des Chemins de fer économiques (il ne s'agit pas d'un véhicule d'époque, mais d'une reconstitution réalisée dans les ateliers de la chaussée d'Anvers à partir d'une charrette), j'espérais y retrouver ce fameux mécanisme de frein actionné par manivelle. Pas de chance pour moi, ce mécanisme n'a pas été reproduit. A la place, nous avons le sabot de frein "classique" tel qu'il se présentait sur les omnibus de pavé des Tramways Bruxellois.




Pour mettre ce frein en place, il faut d'abord détacher le frein de son support, puis ouvrir la broche et venir placer le frein contre la roue. On peut ensuite refermer la broche à l'intérieur de la roue afin que le mécanisme tienne en place. Lorsque la chaîne est complètement tendue, le sabot de frein vient se placer entre le bas de la roue arrière et les pavés ou le rail.

On peut légitimement se demander comment le véhicule pouvait encore rouler avec le mouvement de sa roue complètement obstrué par ce frein.

J'ai cherché des réponses dans mon "règlement pour cocher", mais ce que j'y ai lu ne m'a pas vraiment aidé:
"
A l’approche d’une descente rapide, le cocher d’omnibus de pavés arrêtera sa voiture, non seulement pour y laisser monter et descendre les voyageurs, mais encore pour prévenir les accidents qui pourraient arriver au receveur, charger de placer le sabot. Il l’arrêtera également pendant une minute à la place Royale."

Peut être n'était-ce qu'une cale que l'on plaçait sur la roue pendant la durée de l'arrêt. Mais dans ce cas, l'article de 1892 serait assez imprécis, vu que son contenu semble dire que c'est une opération qui se faisait au début ou à la fin d'une pente, et non à chaque arrêt sur cette pente.

J'ai également eu l'occasion de consulter le plan ayant servi à la reconstitution de la voiture déraillable n°6, ce qui m'a permis de constater que le sabot de frein que j'ai photographié au Musée est d'un modèle différent de celui dessiné sur le plan (voir flèche bleue ci-dessous). 

Plus intéressant que ce sabot de frein, ce plan nous montre le trajet complexe réalisé par le câble qui permet de relever la 5ème roue déraillable: il part du crochet au bout de la 5ème roue, remonte jusqu'à une poulie située dans le timon, repart quasiment jusqu'à la roue avant, s'enroule dans une seconde poulie pour revenir par le dessus du timon jusqu'à une troisième poulie qui lui permet d'accéder au poste de conduite, d'où il pouvait être actionné (voir les trois flèches rouges qui indique la position des poulies).



Et voici ce que cela donne "en vrai" sur la voiture déraillable numéro 6: on voit bien la poulie du dessus avec son câble, la poulie située dans le timon et le crochet qui permet de fixer le câble à la roue déraillable. Le câble ne passe malheureusement pas dans la petite poulie du timon ni dans la crochet, mais je présume que vous aurez bien compris l'idée: le câble ne peut / doit pas gêner les mouvements du timon.



Bonne soirée et à bientôt,

Callisto

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