samedi 13 avril 2019

Les frères John et William Morris, pionniers des tramways (années 1870, en Angleterre et en Europe) ^^

Au début de l'automne 1868, William Morris vient proposer au Collège de la ville de Bruxelles de se substituer aux concessionnaires auxquels la construction et l'exploitation de la ligne de chemin de fer américain du Bois de la Cambre a été accordée. Il propose un nouveau cautionnement,  d'exécuter les travaux de manière à ce que la ligne soit livrée à la circulation au printemps 1869 et d'organiser le service dans les meilleures conditions pour le public. 

William Morris fait en sorte de mettre un minimum de pression sur le Collège:
il ne se trouve en Belgique pour peu de jours, et est prêt à abandonner l'affaire si elle n'est pas conclue avant son départ. De plus, il crée un sentiment d'urgence en invoquant l'argument du "temps nécessaire à la confection des voitures", qui doit, selon lui, également être pris en compte.

William Morris. Un gars dont on semble ne rien savoir, mais "l'arrivée fracassante" relatée ci-avant en dit long sur sa personnalité, sur sa fortune et sur ses compétences. 



Pour bien comprendre qui est William Morris, il convient de s'intéresser d'abord à John, son frère aîné. Parce que, vraisemblablement, les deux frères étaient de mèche dans cette affaire.

Signature d'un acte de 1870 relatif aux Voies Ferrées Belges: John signe à la place ("P.P.") de William


Alors, les frères Morris, qui sont-ils? Ce sont les deux fils de George Morris (né en 1789) et d'Elizabeth Hutchings. Ils sont originaires du village de South Molton, dans le Devon, où leur père travaille comme peigneur / trieur de laine. John le 12 décembre 1823 et William en août 1826. Lors du recensement de 1841, John travaille comme stagiaire auprès d'un avocat, tandis que William est apprenti chez un horloger.

La carrière de John progresse rapidement. Il quitte South Molton pour Londres, où il épouse Sarah Taylor le 15 août 1854. Ils s'installent
à Blackheath (Greenwich, dans le comté de Kent). Ils auront 6 enfants (John, Elizabeth, Alfred (qui fera carrière dans la cavalerie), Edward (qui fera ses études à Cambridge), Capel (fermier) et Percy). Aucun d'entre eux ne prendra la relève de leur père dans ses affaires d'avocat. Ce sera William Junior (1855-1934), le  seul fils de William qui atteindra l'âge adulte, qui rejoindra le cabinet Ashurt, Morris & Crisp en 1873.  Outre William Junior, que nous venons d'évoquer, William et son épousée Sarah (née en 1828) auront également une fille, Jane, qui décède à l'âge de 30 ans.


Mais revenons en à John Morris.
Il rejoint donc le cabinet d'avocats Ashurst en 1845 et y devient associé en 1854 (année où la firme s'installe au 6 Old Jewry), puis associé principal en 1862. La firme se spécialise dans les services bancaires, dans le commerce de détail à grande échelle à travers le monde et dans les chemins de fer. Il surfe sur la vague de la mondialisation des échanges commerciaux et voyage partout dans le monde: en Europe, aux Etats-Unis (où il représente Erie Railroad) et au Canada (où il est conseiller du Grand Trunk Railway) ainsi qu'en Amérique du Sud (Chili, en Argentine et en Uruguay), où il accompagne James Morrison, un homme d'affaire anglais, qui possède les grands-magasins "Fore Street Warehouse" et une fortune colossale.


E
n tant qu'avocat d'affaire, l'expertise de John Morris est surtout axée dans des domaines tes que l’introduction en bourse de sociétés commerciales, de la promotion des activités de ces sociétés, de la restructuration de leurs actifs (en cas de difficultés financières) et de leur mise en liquidation. Dans les années 1880, John Morris et son cabinet d'affaire représentent plus de 300 entreprises parmi lesquelles:
- 61 exploitations des mines (dont la moitié se trouvent en Australie);
- 31 sociétés financières, de prospection et d'investissement, principalement basées aux États-Unis; 
- 31 société agricoles, actives dans le monde entier; 
- 27 compagnies de chemin de fer actives dans diverses régions du monde;
- et 27 fournisseurs de gaz et de systèmes d'éclairage, d'eau ou de communication.

John Morris



Comme nous l'avons évoqué ci-avant, John Morris voyage beaucoup et vit pleinement avec son temps. Il a le sens des affaires et de la spéculation. Ce sont d'ailleurs des raisons spéculatives qui vont, fin des années 1860, l'amener à s'intéresser aux tramways. Il va démarcher les administrations communales et offrir ses services en vue d'établir des lignes de tramways, parfois à l'aide d'entrepreneurs locaux, et parfois en faisant appel aux services de son frère William, devenu entrepreneur en travaux publics. 
 
John Morris va s'avérer être un excellent promoteur de "chemin de fer américain". Il sera impliqué, comme conseil, dans l'établissement de lignes de tramways à Edinburgh, Glasgow, Liverpool, Dublin, Cardiff, Londres, Belfast, Plymouth, Portsmouth, Copenhague, Cracovie et Barcelone. Il essaiera aussi, infructueusement, d'établir des lignes à Dundee, Southampton et Tynemouth. Une fois les lignes construites, l'exploitation passe sous forme de société et c'est deux fois bingo pour John: une première fois sous la forme de ses honoraires d'avocat et une seconde comme actionnaire qui empoche des dividendes. Bref, sa fortune est faite.


En 1868, il envoie donc son frère William négocier la construction d'une ligne de chemin de fer américain à Bruxelles. C'est une de leurs toutes premières lignes. Le 9 juillet 1869, le Sheffield Daily Telegraph parle du chemin de fer du Bois de la Cambre en ces termes: "This way, with its excellent carriages, has been constructed by a single Englishman, without company, without shareholders, without pots-de-vin.  Not yet fully complete", tandis que le 23 juillet, William dépose un brevet d'invention pour des améliorations apportées aux aiguillages.

William Morris confie l'exploitation de ses "Voies Ferrées Belges" à William Sheldon (1812-1883), dont l'adresse est ici 3 place Saint-Jean, mais qui réside à "Langeveld sous Uccle".




En 1871, William Morris et William Sheldon fondent la "British and Foreign Tramways Compagny" avec John Macmillian Dunlop, Herman Gustav Erichsen, Louis Floersheim, le lieutenant colonel Charles Napier Stuart et Philip Rose (un avocat ayant comme clients plusieurs compagnies ferroviaires telles le Great Eastern Railway et le London, Brighton and South Coast Railway). 

Issu du "Building News" du 16 juin 1871


D'après la publicité ci-avant, cette société "
est disposée à examiner des propositions de tramways au Royaume-Uni ou ailleurs. Elle a été créée pour mener à bien les activités de tramway en relation avec les parties qui ont principalement contribué à l’introduction des tramways dans ce pays et dans les principales villes du continent et qui apporteront donc à la société une grande expérience pratique.

L’intention de la société est généralement d’investir son propre capital dans la construction et le développement des tramways qu’elle a choisis, et d’en disposer, après que ceux-ci aient fait leurs maladies de jeunesse, de manière à ce que le public protégé contre les projets malsains et/ou spéculatifs. 

La Société est entièrement libre de tout engagement, direct ou indirect, avec des entrepreneurs en travaux publics, et effectuera donc les travaux qui nécessitent d'être entrepris, aux conditions les plus rentables possibles.

La position des fondateurs de cette société leur permettra d’obtenir, aux conditions les plus favorables, des concessions des principales villes du continent et d’ailleurs, pour autant qu'elles soient favorables aux entreprises de tramway.
"



Le 25 mai, la "British and Foreign Tramways Compagny" se porte candidate pour acquérir les réseaux de tramways de Bruxelles et de Londres, suite à un accord avec William Morris, comme l'atteste cette coupure de presse issue de l'Engineering Magazine du mois d'octobre 1871.




Cependant, aucun document ne semble attester du transfert des "Voies Ferrées Belges" du patrimoine de William Morris vers la "British and Foreign Tramways Compagny". L'acte de constitution de la Société Anonyme des Tramways Bruxellois du 23 décembre 1874 indique d'ailleurs que William Morris apporte la ligne du Bois de la Cambre à titre personnel.

Entête du papier à lettre des "Voies Ferrées Belges"


La "British and Foreign Tramways Compagny" est mise en liquidation dans le courant du mois de mars 1874. Ses actifs sont repris par la "Tramways Union Company Ltd". William Morris ne fait pas partie des directeurs de la nouvelle société. Il donne presque l'impression de "prendre sa retraite" en 1874. Il vend son réseau bruxellois et liquide sa "British and Foreign Tramway Company" la même année que celle où son fils doit partir en Australie pour des raisons de santé. Est-ce juste une coïncidence? On notera cependant qu'il ne se retire des Tramways de Glasgow qu'un an plus tard, en 1875.



Après avoir vraisemblablement mis fin à ses activités tramiviaires, William Morris part s'installer à Hove, où il agit en tant que promoteur immobilier des "West Brighton Estates" et aménage le bord de mer entre les 1ère et 4ème avenues. Il y fait également construire un immense ensemble immobilier avec vue sur mer ("Queen's Gardens"), et s'implique dans la gestion des "West Brighton Waterworks". Il décède le 13 juillet 1913. Je n'ai malheureusement pas pu retrouver de photo de lui. A moins qu'il ne se cache quelque part sur la photo prise devant sa maison en 1874?


Quant à John Morris, mes recherches se sont arrêtées à la mise en liquidation de la "British and Foreign Tramways Compagny". Il continue visiblement ses activités de promoteur de lignes de tramways, notamment via la "Tramways Union Company Ltd", et participe, en tant que conseil, à l'établissement de lignes de tramways partout dans le monde: Brême, Bucarest, Madrid, Calcutta, Hanovre, Dresde, Rouen,... Il fait également construire de nouveaux bureaux au 17 Throgmorton Avenue, dans lesquels la firme s'installe en 1890. Il décède en mars 1905.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.