samedi 21 janvier 2017

Les "Voies ferrées belges", 1868-1874 ^^

21 avril 1864 : la ville de Bruxelles annexe territorialement, par arrêté royal, une bande de terrain longue de 2400 mètres et reliant la Place Louise au Bois de la Cambre : l’avenue Louise. Elle ne comporte encore qu’une dizaine de maisons au-delà de la place Stéphanie, mais très vite, l’idée de relier le Bois au reste de la Ville par un chemin de fer américain séduit le Conseil Communal. Il faut dire que le Bois de la Cambre est le lieu de promenade à la mode

"L'entrée du Bois de la Cambre", gravure publiée dans l'hebdomadaire belge
"L'Illustration Européenne" en date du 17 août 1872.


L
e trajet retenu, par les boulevards de Waterloo et du Régent, la place du Trône, la place des Palais, la rue Royale et la porte de Schaerbeek, est volontairement le plus plat possible, afin de réduire au maximum le risque d’accident (suite à un frein cassé ou à un timon brisé). Car bien que certains conseillers se soient rendus à La Haye pour voir le chemin de fer américain qui relie la ville à la plage de Scheveningen et en soient revenus convaincus, leur confiance en cette « nouvelle technologie » reste tout de même toute relative.


La Ville de Bruxelles invite alors son ingénieur en chef, le futur baron Théophile de Jamblinne de Meux (28 décembre 1820 - 28 avril 1912), à dresser un cahier des charges-type pour cette toute première concession de « chemin de fer américain » (= tramway hippomobile) sur son territoire. Le texte est amendé par les membres du Conseil Communal. Louis Ranwet propose, entre autres, le transport gratuit des policiers et des employés communaux. Auguste Orts y ajoute le transport gratuit du matériel d’incendie. Le texte
, finalement approuvé le 15 septembre 1866, sert de référence lors de toutes les demandes de concession, à Bruxelles, mais aussi en province.

Le 16 novembre 1866, la concession est accordée aux uniques soumissionnaires: Messieurs Frédéric-Ernest Nyst, un ingénieur Liégeois (19.12.1836 - 13.09.1920), et B. Morel-Thibaut, ingénieur et entrepreneur de roulage du service des postes de Paris. Malheureusement, deux ans plus tard, ils ne sont toujours pas parvenus à réunir les fonds nécessaires pour concrétiser leur projet.

Ils sont alors contactés par William Morris (1826-1913), un entrepreneur en travaux public anglais, frère de l'avocat d'affaire John Morris (1823-1905). le 18 septembre 1868, William achète, pour 97.000 francs, un terrain situé en bordure du Bois de la Cambre.  Le Conseil Communal accepte la substitution et octroie la concession, par une convention datée du 12 novembre 1868, à William Morris, dont la compagnie est connue sous le nom de « Voies Ferrées Belges ».



Outre la ligne du Bois de la Cambre, William Morris exploite également un skating rink (= une patinoire) au jardin zoologique de la ville de Bruxelles. Il devient également directeur de la Glasgow Tramway and Omnibus Company en 1871. En 1869, Il fait construire, sur sa propriété en lisière du Bois de la Cambre, un dépôt pour une trentaine de voitures, des écuries pour 140 chevaux, une maréchalerie, un atelier d’entretien, des magasins et des bureaux. Ce dépôt sera démoli en 1909, afin de permettre le percement de l’avenue Lloyd George.

Dessin représentant schématiquement  les divers bâtiments composant le dépôt du Bois de la Cambre, vers 1905:
* en haut à droite: les bureaux, écuries et magasins, avec la sortie couverte vers le boulevard de la Cambre
* en bas à gauche: les aubettes pour les voyageurs et le pavillon de l'Octroi (en vert)
* en bas à droite: la remise pour les voitures

Mais revenons-en à William Morris...  Entre 1868 et 1874, il commande 26 voitures hippomobiles à impériale à George Starbuck, l’un des rares constructeurs européens de voitures de tramway de cette époque, qui s’est établi en 1860 à Birkenhead, en Angleterre.




Ces voitures, en livrée jaune et blanche, font 6.225 mètres de long et 2.125 mètres de large.



Elles proposent deux compartiments fermés, un de première classe doté de coussins en velours rouge et un de seconde classe, de 8 places chacun, séparés par une cloison mobile ...


L'intérieur du compartiment.


... et 16 autres places assises sur l’impériale, sur une double banquette placée dans le sens de la longueur. L’impériale, assez difficile d’accès par un escalier en colimaçon, est réservée aux hommes. Les femmes et les personnes âgées n’y ont pas accès pour des raisons de sécurité. 

L'escalier en colimaçon et la plate-forme avant.


La voiture comporte deux plates-formes où peuvent se tenir debout, sur chacune d’elles, 4 passagers. Ce qui nous fait une capacité totale de 16 places assises intérieures + 16 places assises sur l’impériale + 8 places debout, soit un total de 40 places. L’éclairage intérieur est assuré à l’aide de lampes à pétrole.


L'éclairage intérieur. Celui-ci n'est plus d'époque,
vu qu'il a été électrifié.



Le premier tronçon de la ligne, entre le Bois de la Cambre et la place Louise, est inauguré le 24 ou le 25 avril 1869. La ligne est prolongée jusqu’à la porte de Schaerbeek. Dès le mois d'avril 1869, William Morris demande une prolongation de sa ligne jusqu'à l'église de Laeken, par les boulevards du Jardin Botanique et d'Anvers, l'allée verte et le pont de Laeken. Son projet ayant été refusé, il prolonge, en 1870, sa ligne jusqu’à l’Eglise Sainte Marie (dans un premier temps) puis jusqu’à la rue Teniers (l'équivalent de l'actuelle église Saint-Servais). 

L'ancienne rue Teniers, telle qu'elle se présentait au début du 20ème siècle,
avant l'aménagement de l'avenue Louis Bertrand.

Comme la ligne est relativement plane (sans dénivelé important), deux chevaux suffisent pour tirer les voitures. Le tarif appliq en 1869 est un tarif "par section" qui dépend de la distance parcourue. Le prix du trajet varie de 12 centimes en 1ère classe et de 10 centimes en seconde classe pour les trajets les plus courts (une ou deux sections) à 65 centimes en 1ère classe et 60 centimes en seconde pour le trajet simple complet, de la rue Teniers au Bois de la Cambre. Autrement dit une fortune pour l'époque!
Deux billets de tram délivrés par les Voies
Ferrées Belges, vers 1873/1874


La ligne est assez bien desservie, avec un passage toutes les 10 minutes le matin et le soir, et toutes les 5 minutes en journée. Malheureusement, la régularité fait défaut, car elle a été construite à voie unique avec des zones d'évitement.  Les travaux de doublement de la ligne, entre le Bois et la Porte de Schaerbeek, commencent dès la fin de l'année 1873 et sont entièrement terminés à l'été 1874.


En 1875, après avoir été rachetée par l'homme d'affaire Simon Philippart pour 2.200.000 francs belges (de l'époque), la Compagnie Morris fusionne avec la Compagnie Vaucamps, afin de donner naissance à la SA des Tramways Bruxellois. L'acte de constitution de la société nouvellement créée est signé le 23 décembre 1874 devant le notaire Van Halteren, à Bruxelles.

L
es voitures à impériale sont repeintes (en 1876?) en livrée verte aux couleurs de la compagnie nouvellement créée, et le blason avec les armoiries de la Belgique est remplacé par le numéro de la voiture.


Les voitures sont ensuite transformées: remplacement des fenêtres mauresques, suppression des impériales et agrandissement des plates formes. Cependant, le "timing" de ces transformations est mal connu et sujet à controverse

La ligne Bois-Teniers, construite avec des rails de 16 kilos n'est pas suffisamment robuste que pour faire face à au trafic régulier. Les rails sont remplacés par des rails de 25 kilos et la voie est entièrement doublée. Ces travaux se terminent dans le courant de l'année 1877.

Les voitures Starbuck transformées entre 1876 et 1885 continuent leur service jusqu’en 1898/1899. Quelques-une de ces voitures (les n°3, 8 et 12) sont alors transformées à nouveau, en remorques pour tramway électrique et utilisées jusqu’en 1909, avant d'être démolies, à l'exception de la voiture 7, qui a été préservée dans son état d'origine.
La voiture 7 de la Compagnie Morris, lorsqu'elle était exposée au Musée du Cinquantenaire


Déclassée assez rapidement après sa mise en service, elle est utilisée pour des événements, des défilés et des cortèges. Elle est exposée lors des Expositions Universelles de 1897 et 1958, ainsi qu’au Musée de la Voiture, dans la section des transports des Musées d’Art et d’Histoire du Cinquantenaire à partir de 1932, avant de rejoindre les collections du Musée du Transport Urbain Bruxellois en 1977.

La chevaline 7 au Musée du Transport Urbain Bruxellois

Bonne soirée,

Callisto

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