dimanche 11 novembre 2018

Les "Voies Ferrées Belges" dans la presse, 1869-1874 ^^

L'ancienne presse belge numérisée regorge de détails parfois oubliés des historiens traminots, vu que ces "petites histoires" ne sont pas relatées dans les rapports annuels des sociétés de transport concernées. Aujourd'hui, partons à la découverte de l'exploitation de la ligne du Bois de la Cambre par la compagnie des Voies Ferrées Belges (également appelée compagnie Morris, du nom de son fondateur) et voyons ce que les anciens journaux peuvent nous en apprendre.

"L'entrée du Bois de la Cambre", gravure publiée dans l'hebdomadaire belge
"L'Illustration Européenne" en date du 17 août 1872.

Commençons par le commencement, et l'arrivée des premières voitures. "L’Écho du Parlement", dans son édition du 8 avril 1869, nous apprend que: "Le chemin de fer américain, dont les travaux sont poussés avec une grande activité, sera inauguré, selon toute probabilité, le 19 de ce mois pour la partie qui conduit du Quartier Louise au Bois de la Cambre.

Les rails sont déjà posés sur une grande partie de la route. Ils longent la voie macadamisée du côté gauche allant vers le bois jusqu'au rond-point, et occupent ensuite le côté droit jusqu'à l'entrée du bois. Le système de construction de cette voie ferrée diffère essentiellement de celui de nos chemins de fer. Les billes qui reçoivent les rails sont placées longitudinalement, et l'espace entre les deux rails est macadamisé.

Une voiture se trouve déjà sur la voie, au rond-point. La construction en est élégante et l'aménagement offre tout le confort désirable. Elle est divisée en deux compartiments. Un marche pied, à chaque bout de la voiture,
qui contient 16 places, donne accès à l'impériale et à ses 20 places.

Cinq autres voitures sont arrivées d'Amérique, car c'est là qu'on les construit. Elles serviront lors de l'inauguration des voyageurs.

La construction des ces voitures est assez curieuse. Elles se montent et se démontent avec une grande facilité, et quelques heures suffisent, après leur débarquement, pour les mettre en état de remplir l'emploi auquel elles sont destinées.
"



On vous rassure, le matériel roulant des Voies Ferrées Belges a bien été fabriqué en Angleterre. Les propos de ce journaliste donne un peu l'impression que, comme il s'agissait d'un chemin de fer américain, le matériel ne pouvait venir que d'Amérique ^^


Les premiers chevaux arrivent quant à eux un peu avant le 19 avril, date à laquelle
M. Sheldon, agissant pour le compte de William Morris, demande à pouvoir construire un puits dans sa propriété. 


Cinq jours après la parution de l'article annonçant l'arrivée des premières voitures de la compagnie Morris, le journal "Le Bien Public", dans son édition du 13 avril, nous apprend que: "On termine en ce moment la pose des rails sur la 1ère section du chemin de fer américain au Bois de la Cambre."



Douze jours plus tard, le "Moniteur Belge" du 26 avril 1869, qui nous relate l'inauguration de la ligne, intervenue le weekend précédent: "M. le bourgmestre de Bruxelles, accompagné de la section des travaux publics du conseil communal, a inauguré le chemin de fer américain du bois de la Cambre. M. le ministre des travaux publics a fait partie de ce voyage d'essai, qui s'est effectué en 7 minutes."

Dans son édition du 28 avril, le "Journal de Bruxelles
nous relate que: "L'avenue Louise et le bois de la Cambre étaient aujourd'hui couverts d'innombrables promeneurs de la société bruxelloise, à la faveur d'une splendide journée de printemps. La nouveauté du chemin de fer américain et l'alimentation du lac y étaient pour beaucoup dans cette agglomération de la foule élégante." On devine, à travers ces lignes, que les voitures hippomobiles de la compagnie Morris sont bel et bien en circulation. Le 28 avril est un mercredi. Que vient faire la foule au Bois de la Cambre, par une belle journée de printemps?

La réponse se trouve dans le journal "La Meuse", du 27 avril 1869: "Hier (le lundi 26 avril, donc), à 9:30 du matin, M. Anspach, bourgmestre de Bruxelles, accompagné de plusieurs autres personnes, s'est rendu au bois de la Cambre, où l'on devait commencer à introduire dans le lac cette eau qui lui manque depuis si longtemps. Le lac a 6 hectares de superficie. Il ne s'agissait que d'en remplir la moitié, c'est à dire la partie ouest, jusqu'au bout de l'île, où une digue a été construite, à l'endroit le plus resserré du lac."


Les extraits suivants font état de l'avancement des travaux de voies. On peut ainsi lire dans le "Journal de Bruxelles" du 2 mai 1869: "Les travaux du chemin de fer américain avancent rapidement. Les rails sont placés jusqu’à l’emplacement de l’ancienne porte de Namur".

Le "Journal de Bruxelles" du 26 mai 1869 nous informe, quant à lui, que: "On termine déjà la pose des rails du chemin de fer dans la rue Royale jusqu'à la place des Palais."

La ligne devait être mise entièrement en service avant le 1er juin et tout porte à croire que ce fut le cas.


Après l'effet de nouveauté passé, on s'interroge quand même sur ce nouveau mode de transport. "L'Indépendance belge" dans son édition du 12 juillet 1869, publie le texte suivant: "On nous signale, à propos du service l'omnibus américain du bois de la Cambre, service qui, dès le début, a obtenu une faveur de nature à répondre aussi largement que possible au vœu de ses organisateurs, une particularité qui, disons-le, contraste tristement avec la pensée d'amélioration, de confortable et de bien-être matériel, qui parait avoir inspiré les fondateurs de cette entreprise.

Pendant que les voyageurs sont au mieux à l'intérieur ou sur l'impériale des véhicules, pendant que le receveur accompli sa pénible tâche beaucoup plus facilement que dans les omnibus ordinaires, grâce à la régularité de la marche et à l'absence de toute secousse, pendant que les chevaux eux-mêmes trouvent dans l'emploi du rail américain et dans la rectitude de la ligne parcourue une notable économie de labeur et de fatigue, seul un malheureux employé subalterne de la compagnie semble condamné à expier en quelque sorte, par la dureté de son travail et l'inexorable rigueur de sa tâche, le bien-être réalisé au profit des clients et des coopérateurs de l'entreprise.
Nous voulons parler du cocher qui, debout sur la plate-forme du rez-de-chaussée de la voiture, conduit constamment ses chevaux en restant dans cette fatigante position, qu'il lui faut conserver plus de 12 heures par jour, sans autre repos que les 10 ou 15 minutes d'arrêt qui suivent chaque arrivage à l'une ou l'autre extrémité de la ligne.

Ce service, accompli par un même homme toujours debout, et presque aussi pénible pour le regard du spectateur que pour le torse du patient, n'est justifiée par aucune exigence, par aucun motif d'intérêt ou d'amélioration.
Un étroit tabouret, mis à la disposition du cocher, ne causerait assurément à la compagnie des omnibus américains, d'autre préjudice qu'une dépense insignifiante et, sans pouvoir donner lieu au moindre accident, mettrait fin à un état des choses qui ressemble vraiment de trop près à un acte d'inhumanité."

Les conditions de travail des conducteurs et receveurs ne sont cependant pas prêt de s'améliorer: il faudra attendre 1898 pour que la journée de travail soit portée à 10 heures, et l'entre-deux-guerres pour que l'équipage dispose d'un siège où s'asseoir.

Une voiture de la compagnie Morris (autre nom des "Voies Ferrées Belges"),
immortalisée près du dépôt du Bois de la Cambre dans le courant de l'année 1874


Il n'y a pas cependant que les conditions de travail du personnel qui sont précaires à la compagnie Morris: les conditions dans lesquelles les passagers sont transportés le sont aussi. La presse relate une dizaine d'accidents dus à l'imprudence des voyageurs, qui sautent des véhicules en marche, ou des piétons ou de conducteur d'attelages ne voyant pas le tram arriver. Les conséquence, dues au piétinement des chevaux ou à un écrasement sous les roues sont multiples: contusions, fractures, amputations, ainsi que des décès.

Voyons notamment celui qui est relaté dans "Le Journal de Bruxelles" du 24 avril 1870: "Un déplorable accident est arrivé hier, vers midi, près de l'ancienne porte de Namur. L'omnibus américain venait de s'arrêter, lorsqu'une des personnes qui se trouvaient sur l'impériale eut la malencontreuse pensée de se lever et de rester debout sans se tenir soit au dossier de la banquette soit à la balustrade en fer qui entoure la terrasse de la voiture.
Tout à coup, l'omnibus se remet en marche, et l'imprudent voyageur, ébranlé par le mouvement qui lui fait perdre l'équilibre, est précipité du haut de l'impériale et tombe sur le pavé, où il se brise le crâne. La mort a été instantanée."

Cet accident fera l'objet d'une interpellation au Conseil Communal de la Ville de Bruxelles, qui est invité à rappeler à la compagnie Morris qu'il est nécessaire d'entourer l'impériale d'une rampe plus élevée, voir même d'un léger treillis en fer afin d'assurer plus de sûreté aux passagers ainsi qu'aux receveurs, qui estimeraient également que l'impériale est "assez dangereuse".


Dans son édition du 16 juin 1871, "L'Echo du Parlement" nous apprend que: "Le concessionnaire du chemin de fer américain de Bruxelles vient de céder son entreprise, laquelle fonctionne avec un très grand succès, à une société anglaise, qui reprend en même temps les chemins de fer américains de Madrid." Cependant, aucun document ne semble attester du transfert des "Voies Ferrées Belges" du patrimoine de William Morris vers la "British and Foreign Tramways Compagny". L'acte de constitution de la Société Anonyme des Tramways Bruxellois du 23 décembre 1874 indique d'ailleurs que William Morris apporte la ligne du Bois de la Cambre à titre personnel.


Il a toujours été affirmé que la ligne du Bois de la Cambre était exploité par des véhicules tirés par deux chevaux. "Le Journal de Bruxelles" du 9 février 1873 nous apprend que cette information est sans doute relative et dépendante des conditions météo. On y lit, en effet, que: "Par suite de la grande quantité de neige, l'omnibus américain faisant le service entre l'ancienne porte de Schaerbeek et le bois de la Cambre a déraillé vendredi soir vers 19:30 dans l'avenue Louise.
Cet omnibus, qui était attelé de 4 chevaux, a renversé un réverbère et n'a pu continuer son itinéraire.
Aujourd'hui, le service du tramway sur cette ligne est complètement interrompu vu l'abondance de la neige qui continue à tomber de plus belle."


On passe aux statistique, grâce à cet extrait du "Journal de Bruxelles" du 17 avril 1874: "Les trois compagnies concessionnaires de chemins de fer américains (Becquet frères, Morris et Vaucamps), ont ensemble actuellement 900 chevaux et 90 voitures en service certains jours, en y comprenant 11 ou 12 voitures ordinaires de la concession Vaucamps. Le développement de tous les réseaux sur le territoire bruxellois est d'environ 20 kilomètres."


Nous voici de retour dans des conditions hivernales extrêmes, avec cet extrait de "L'Echo du Parlement" du 13 décembre 1874: "Hier, pour fonde la neige qui obstruait la voie, la compagnie du chemin de fer américain du Bois de la Cambre a fait verser sur les rails 36 sacs de sel de 100 kilos chacun."


Passons maintenant à cet extrait du journal "Le Bien Public" du mardi 22 décembre 1874: "Jeudi prochain, les tramways du Bois de la Cambre seront remis par M. Morris à M. Philippart qui, dès ce jour (= jeudi 24 décembre), exploitera la ligne." L'acte de constitution de la société "Les Tramways Bruxellois", par lequel l'exploitation de la ligne du Bois de la Cambre est reprise par Philippart, est en effet signé le mercredi 23 décembre 1874.


Et pour finir, le "Journal de Bruxelles",  du 7 août 1875: "On nous apprend que M. Gérard Vanderhaaghen, ancien directeur de la concession Morris, vient de donner sa démission de directeur des Tramways Bruxellois (ligne du Bois de la Cambre)".

Nldr: visiblement, William Sheldon est directeur de la compagnie jusqu'en 1871. A partir de 1872, tous les courriers de la compagnie des Voies Ferrées Belges sont signés par Gérard Vanderhaaghen. Avant de travailler pour la compagnie Morris,
Gérard Vanderhaaghen partie de la garde civique de Saint-Gilles, où il a le grade de capitaine. Il est également, en 1872, président de la société de la réunion Lyrique de Saint-Gilles. Après avoir démissionné des Tramways Bruxellois, il reprend visiblement son emploi à la garde civique de Saint-Gilles, avec le grande de major de bataillon. Il devient lieutenant-colonel commandant de la légion en mai 1878. En 1892, il est officier de l'état civil et échevin pour la commune de Saint-Gilles.


C'est ici que notre petite histoire des
Voies Ferrées Belges et de l'exploitation de la ligne du Bois de la Cambre à travers l'ancienne presse belge numérisée se termine.

A bientôt et bon dimanche,

Callisto.

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