dimanche 10 février 2019

Une histoire d'impériale, de fenêtres mauresques et de supports de boites d'essieux ^^

"En y comprenant les voitures en service, celles en réparation et celles en réserve, il n'y a en tout que 23 voitures." écrit C.A. Opperman en 1873.

Et si c'était vrai? Et si les 3 dernières voitures commandées chez George Starbuck par William Morris n'avaient pas encore été livrées lorsque l'auteur du texte écrit ces lignes?

"Mais Callisto, voyons, il doit s'agir d'une coquille!", me direz-vous. Sauf qu'après réflexion,
coquille d'impression ou pas, on ne peut à priori pas exclure que certains véhicules soient arrivés à Bruxelles plusieurs mois (voire plusieurs années) après la mise en service de la ligne du Bois de la Cambre, faute de documentation à ce sujet.

Cette question mérite donc largement une enquête!


1ère opération: le mesurage. 

Les premières voitures avaient-elles les mêmes dimensions que les dernières? Il existe des photos des voitures 1 et 24, après leur transformation par les Tramways Bruxellois. Les fenêtres mauresques de la voiture 1 ont été remplacées par 4 grandes vitres "dormantes" (ce qui veut dire qu'on ne sait pas les ouvrir) et le véhicule été repeint dans la couleur verte adoptée par les Tramways Bruxellois. La chevaline 24 a, quant à elle,  "juste" été repeinte.

La date exacte de la prise des photos n'est pas connue. Cependant, comme on aperçoit la voiture 277 à gauche de la voiture 1 et que ce numéro a été attribué à l'une des voitures récupérées par les Tramways Bruxellois lors de la fusion avec les compagnies des frères Becquet (compagnie Brésilienne et Tramways d'Ixelles-Etterbeek), on peut considérer que la photo a été prise après 1880.

Pour en revenir aux photos, après mesurage des voitures, il apparait qu'elles sont de dimensions semblables. La variation, de l'ordre de quelques centimètres, étant imputable à l'imprécision du mesureur.






2ème opération: le jeu des 5 différences.

Celles-ci concernent notamment les fenêtres (mauresques sur les chevalines 7 et l'inconnue de la photo de 1874, mais en demi-cercle sur la chevaline 24), la forme de la rambarde de l'impériale, la fixation de celle-ci sur la caisse de la voiture, la toiture en elle-même ainsi que la position de la sonnette.

Maintenant est-ce dû à une extension de la commande initiale, aux travaux de transformations apportés aux chevalines 1 et 24 ou à une modification du “modèle” pendant la fabrication ou à une commande tardive? C'est évidemment difficile à dire. 




Cependant, la voiture n°1 de la Cork Tramways Company, également construite par Geo Starbuck, présente, sur une photo d'époque, des fenêtres en demi-cercle  ornées de motifs floraux (comme ceux de la chevaline 24), la même forme de balustrade et une fixation identique de l'impériale, avec une fixation au dessus de chaque fenêtre (au lieu d'une fixation par groupe de deux fenêtres, comme pour les chevalines 1, 7 et la "x" de la photo de 1874). A titre de repère temporel, le réseau de tramways hippomobiles de Cork a été inauguré et/ou mis en service le 12 septembre 1872. On présume que les voitures ont été commandées chez Starbuck quelques mois auparavant.

L'impériale et les fenêtres mauresques de la voiture n°1 de la Cork Tramways Company (c) R. Jones


On notera que les supports des boites d'essieux de la 1 que ceux de la 24 présentent une inscription visible (et lisible) sur les photos, qui indique "G. Starbuck - Birkenhead". Par contre, cette inscription n'apparait pas sur les supports des boites d'essieux de la chevaline 7. Ces pièces ne seraient donc pas d'époque, mais auraient été refaites ultérieurement, aux mêmes mesures.

De haut en bas: la chevaline 7, la chevaline qui se trouve sur la photo de 1874, les chevalines 1 et 24 (vers 1880)
et finalement, juste pour le fun, la remorque électrique 3, entre 1905 et 1909.
On notera que sur la remorque électrique 3 les tonnelets en caoutchouc assurant la suspension ont été remplacés par des ressorts.



Notons encore (car c'est hors sujet), qu'il semblerait que la police de caractère qui a été utilisée sur les flancs de la chevaline 7, pour indiquer l'inscription "Bruxelles" (photo du centre) soit, pour certains caractères, plus proche de celle qui se trouvait, à l'origine, sur la voiture Saint Michel de la compagnie Brésilienne (photo du dessus) que de celle que l'on aperçoit sur la photo de 1874 (photo du dessous).



3ème opération: la comparaison des horaires.

La question qui nous intéresse ici est de savoir de combien de voitures William Morris a besoin pour desservir sa ligne.

Précisons que les horaires d'avant 1872 que nous avons pu retrouver ne sont guère précis et ne mentionnent qu'une desserte toutes les 10 minutes.

Par contre, dès 1872, les horaires sont publiés dans l' "Almanach de Poche". On y lit, pour l'année 1872:

"Chemin de fer américain, de l'église Saint-Servais au Bois de la Cambre, par la chaussée de Haecht, la rue royale, la place des Palais, le boulevard du Régent, l'avenue de la Toison d'Or, la chaussée de Charleroi et l'avenue Louise.
Stations: Eglise Sainte Marie, colonne du Congrès, place Belliard, porte de Namur, chaussée de Charleroi et chaussée de Vleurgat.

Départs toutes les 10 minutes, du Bois, de 7 heures du matin à 9 heures 10 du soir. De la rue Teniers, de 8 heures du matin à 10 heures du soir.

Le prix des places est de 10 centimes en seconde place et de 15 en première. Le voyageur qui monte entre deux stations paiera de la dernière station. Le voyageur qui descend entre deux stations paiera jusqu'à la station suivante."


Compte tenu du fait que l'équipage a 10 minutes de pause en bout de ligne, on peut donc en déduire que le service commence et se termine au Bois, et que le la ligne entière se parcourt en 40 minutes environ (43 minutes même, pour être précis, si l'on en croit C.A. Opperman).


 
Si l'on en croit toujours C.A. Opperman, un changement d'horaire intervient en date du 18 octobre 1872, à savoir que la desserte de la ligne est renforcée entre midi et 6 heures du soir:

"En ce moment, et depuis le 18 octobre dernier, voici comment le service est organisé: la première voiture, qui commence le service, part du bois de la Cambre à sept heures du matin, et la dernière voiture en part à 9 heures 10 minutes. De Schaerbeek, la première voiture part à 8 heures du matin et la dernière à 10 heures du soir. Celle-ci rentre à 10 heures cinquante au Bois de la Cambre. Le service est alors terminé.
De 7 heures du matin à midi, les départs du bois de la Cambre ont lieu de dix minutes en dix minutes; de midi à 6 heures du soir ils ont lieu toutes les cinq minutes, et de 6 heures à 9 heures 10 minutes du soir ils n'ont plus lieu que toutes les dix minutes."


Cette augmentation des fréquences a pour conséquence qu'au lieu de faire circuler 9 voitures simultanément, il en faut 17 pour assurer le service. C.A. Opperman l'écrit ainsi: "Il en résulte que, quand les départs sont espacés de dix minutes, il n'y a que neuf voitures en service, et qu'il y en a dix-sept en marche quand les départs ne sont plus espacés que de cinq minutes.


Autrement dit, si l'on se fie aux horaires uniquement, avant 1872, une douzaine de voitures doit suffire à l'exploitation de la ligne. Devoir disposer d'un nombre plus important de voiture se justifie, en octobre 1872, par l'augmentation des fréquences.


Les horaires en vigueur depuis le 18 octobre 1872 restent quasi-inchangés en 1873 et 1874 comme l'en atteste cet horaire valable au 1er avril 1874.




En résumé...

Nous avons vu que le tramway hippomobile n°24 des Voies Ferrées Belges présentait un aspect extérieur différent des autres véhicules de la compagnie Morris dont des photos nous sont parvenues (1, 7 et la chevaline inconnue de la photo de 1874), mais assez proche de celui d'une autre voiture produite par la firme Starbuck en 1872. De plus, la desserte de la ligne aux 10 minutes, avant le 18 octobre 1872, ne nécessitait probablement pas d'avoir 26 voitures. On peut donc se poser la question de savoir s'il était bien raisonnable de commander 26 chevalines dès le début de l'exploitation, alors que personne ne pouvait prédire le succès que la ligne allait avoir, ni la viabilité de celle-ci.

On ajoutera que, selon une liste de créances établie le 13 novembre 1872, dans le cadre de la faillite de la Geo Starbuck & Co Ltd et sa reprise par la Starbuck Car and Wagon Company, on retrouve une dette de £2.070 due par William Morris, suite à la commande de 12 voitures à impériales. Le document ne mentionne malheureusement que le nom de William Morris, et non celui du réseau auquel il était destiné (qui pourrait donc ne pas être Bruxelles).

Bien qu'il ne soit pas (malheureusement) pas possible de vérifier plus amplement les informations développées ci-avant, en les recoupant avec d'autres documents, on ne peut pas exclure que les dernières voitures des Voies Ferrées Belges aient été livrées à la fin de l'année 1872, voire même encore plus tardivement.

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